Interview : Noah Baumbach pour FRANCES HA

09-07-2013 - 21:39 - Par

Son formidable FRANCES HA est en salles depuis mercredi. L’occasion de relayer ici notre interview de Noah Baumbach, publiée dans Cinemateaser n°25.

Depuis près de vingt ans, il est l’une des figures de proue d’un cinéma américain indépendant et exigeant, que ce soit comme scénariste – pour Wes Anderson notamment – ou comme réalisateur. À l’occasion de la sortie de FRANCES HA, il parle avec Cinemateaser de la genèse du projet, de ses influences, de Paul McCarney ou des GOONIES. Discussion chic et libre, comme ses films.

FRANCES HA se rapproche de l’esprit lo-fi de vos tout premiers films. Le voyez-vous comme un deuxième début ?
Ça l’est devenu, même si ce n’était pas mon intention première. J’ai eu quelques nouveaux départs dans ma carrière : mon tout premier film KICKING AND SCREAMING, puis LES BERKMAN SE SÉPARENT. Peut-être qu’au bout de quelques films, je connais une sorte de régénération… Sur FRANCES HA, tout a été fait par choix. Ce qui n’était pas le cas des BERKMAN dont le budget était réduit parce que c’était tout ce que l’on avait pu obtenir. Je savais que la meilleure façon de faire FRANCES HA était celle-là. Nous avons écrit le script pour qu’il soit tourné ainsi, à l’économie, sur un mode de production proche de celui d’un premier film. Mais si FRANCES HA s’était juste limité à être « un petit budget », je ne l’aurais pas fait. Je souhaitais qu’il soit beau et élégant, qu’il se rapproche des premiers disques solo de Paul McCartney. Prenez « Ram », qu’il a enregistré seul dans sa maison : c’est un disque lo-fi, mais exécuté de main de maître. Voilà l’esprit que je recherchais.

Ses premiers disques solo, McCartney les a faits à une période où il s’est libéré des Beatles et s’est épanoui dans son couple : diriez-vous la même chose pour vous et la confection de FRANCES HA ?
Oui, c’est d’ailleurs le sujet même du film. Je voulais célébrer ça et le faire avec panache, d’où mon choix de tourner en noir et blanc. Il fallait que le film soit comme Frances : généreux, romantique, plein d’espoir, un peu fou. Si Greta (Gerwig, ndlr) a été l’inspiration de FRANCES HA, Frances elle-même a été mon guide. Il me suffisait juste de la suivre.

On retrouve une certaine influence de la Nouvelle Vague : est-elle inscrite dans votre ADN ?
Je crois, oui… Même si FRANCES HA s’y réfère de manière plus évidente que mes autres films via son sujet, le noir et blanc, la musique. La Nouvelle Vague m’a toujours influencé et si vous regardez le montage de mes longs-métrages précédents, il ne diffère pas de celui de FRANCES HA. Juste le contexte change.

Dans GREENBERG, le personnage de Ben Stiller refuse d’être heureux alors qu’ici, Frances cherche un moyen de l’être… Voyez-vous FRANCES HA comme une réponse à GREENBERG ?
Oui ! Cela dit, je ne m’en rends compte que maintenant. Ces similitudes m’apparaissent en en parlant. Frances a 27 ans, elle est têtue mais sait aussi supporter la déception. Greenberg, lui, ne sait pas s’adapter car il a 40 ans ! (Rires.) Si les deux personnages partagent certains traits, ils y répondent de manière très différente.

FRANCES HA est très sincère sur le passage à l’âge adulte. Est-il plus facile pour vous de traiter ce thème en vieillissant ?
Peut-être… Peut-être même que l’esprit joyeux du film découle de ce recul. Lorsque j’avais 27 ans, j’étais malheureux… (Rires.) Je ne ressentais pas du tout la joie de cet âge, je ne dansais pas dans les rues en écoutant du David Bowie comme le fait Frances ! Avoir cette distance me permet de célébrer davantage cette période de la vie.

Auparavant, vous avez dirigé Jesse Eisenberg, Dave Franco, Brie Larson… Ici, vous avez encore des acteurs prometteurs, comme Mickey Sumner, Adam Driver ou Michael Zegen. Comment voyez-vous cette nouvelle génération et à quel point êtes-vous attentif à ce qu’elle a à offrir ?
Parfois, je me sens un peu comme Greenberg : ces jeunes m’inspirent et me terrifient en même temps ! (Rires.) Pour la scène de la fête dans GREENBERG, nous avions Brie, Dave et tous ces jeunes comédiens qui avaient invité leurs potes pour que la séquence soit authentique. Nous tournions sur cinq nuits et au début, je trouvais ça super. Arrivé à la quatrième, je détestais ces gamins, je voulais en finir ! (Rires.) Mais j’adore travailler avec de jeunes acteurs. Lorsque je dois tourner un film, je deviens plus attentif à qui est en train d’émerger. Pour FRANCES HA, nous avons auditionné tout le monde. Je n’avais pas forcément vu ce qu’ils avaient fait avant et cela n’avait pas d’importance. Je cherchais juste à trouver les personnes adéquates.

Laissez-vous les acteurs libres d’expérimenter ou préférez-vous rester collé au script ?
Je me raccroche toujours au scénario. Je ne suis pas à l’aise avec l’improvisation parce que je travaille très dur sur mes scripts. Bien sûr, je change des petites choses de temps en temps. Je suis très intéressé par ce que les acteurs peuvent apporter d’eux-mêmes à un rôle : les meilleurs d’entre eux apportent leur propre histoire. J’aime ça, j’aime les diriger. Sur FRANCES HA, les acteurs n’ont lu que leurs scènes. Cela a permis de souligner l’idée qu’ils existaient dans l’instant, dans leurs séquences. Aucun d’entre eux n’avait ainsi à se soucier d’interpréter un thème plus large…

Vos films sont pourtant très naturalistes dans l’interprétation et vos acteurs semblent toujours très libres à l’écran…
Oui, mais je pense qu’un acteur peut gagner en liberté s’il connaît bien le script et l’a bien digéré. Ben (Stiller, ndlr), qui a souvent improvisé dans sa carrière, m’a dit que sur GREENBERG, il s’était senti plus libre. Je crois que cette méthode permet de creuser davantage en profondeur, en intériorité. Alors que l’improvisation est un mouvement vers l’extérieur, selon moi.

FRANCES HA se déroule à New York, votre ville natale. Sachant qu’elle a été si souvent iconisée au cinéma, était-ce difficile pour vous d’en reprendre possession et de montrer ce qu’elle représente réellement pour vous ?
J’ai beaucoup réfléchi à ça par le passé, mais plus aujourd’hui. Sans doute parce que j’ai vécu à New York toute ma vie… Si je la filme sincèrement, j’estime qu’il en ressortira forcément quelque chose d’unique. C’est un peu comme pour la musique. Prenez « Modern Love » de David Bowie, qui est dans le film : elle a souvent été utilisée à l’écran. Plus tôt dans ma carrière, je me serais sans doute dit qu’il me fallait trouver une chanson plus obscure de Bowie. (Rires.) Aujourd’hui, je sais que comme ce choix vient du cœur, les gens seront ravis de l’entendre à nouveau.

FRANCES HA est très ironique. Le personnage de Benji regarde des films de Desplechin mais, au final, il ne rêve que d’écrire un script de GREMLINS 3… Vouliez-vous dire quelque chose sur la dictature du bon goût ?
Si Benji avait été plus central dans le récit, j’aurais peut-être creusé davantage ce thème… Pour être un peu simpliste, je dirais que la jeune génération, grâce à Internet, fait moins la différence entre le bon et le mauvais. Il n’y a plus de plaisir coupable pour eux. Pour Benji, tout fait ainsi partie de la même culture.

Mais Benji ne reflète-t-il pas une frustration personnelle, un sentiment d’avoir été prisonnier d’une culture qui opposait divertissement et art ?
LES BERKMAN SE SÉPARENT parlait en partie de ça : grandir dans un monde où il existe une bonne et une mauvaise façon de ressentir les choses. Je crois qu’il y a quelque chose de libérateur dans le fait d’aimer GREMLINS et Desplechin. Je le ressens plus fortement en vieillissant : il y a quelques années, je me suis rendu compte que les gens parlaient des films avec lesquels j’ai grandi de la même manière dont je parlais des films de la génération m’ayant précédé. Aujourd’hui, les gens se réfèrent à tous ces succès des 80’s, comme LES GOONIES. J’aime vraiment ces films et cela m’embarrasse moins que lorsque j’avais 30 ans.

Dans FRANCES HA, vous citez aussi Gainsbourg, Jean-Pierre Léaud… Pourquoi les Américains se réfèrent-ils toujours aux artistes français ou européens passés et jamais aux contemporains ?
Mais j’aime aussi Desplechin ou Phoenix ! (Il sourit) Pour répondre à votre question, je dirais que dans les 60’s, le cinéma européen a réellement enthousiasmé les Américains. Dans les 70’s, il a même infiltré notre culture. Cela ne s’est pas reproduit depuis. Bien sûr, il y a toujours des cinéphiles, mais le cinéma européen est moins mainstream aux USA qu’il ne l’était à l’époque. Bergman a fait la couverture de Time Magazine dans les 60’s. Aujourd’hui, ce n’est pas près d’arriver [avec un artistes actuel] ! (Rires.) Alors que ce qui est entré dans notre culture dans les 60’s l’est resté.

Vous êtes connu notamment pour la qualité de vos bandes originales. Avez-vous besoin d’aimer une chanson pour la mettre dans un de vos films ?
Quand j’ai débuté, je ne pouvais utiliser que des chansons que j’appréciais. Mais sur LES BERKMAN SE SÉPARENT, j’ai découvert que je préférais avant tout être fidèle à l’identité d’un personnage. Je peux donc désormais inclure des chansons que je n’écoute pas nécessairement en boucle chez moi. Aujourd’hui, je choisis une chanson comme un acteur : vous cherchez toujours à embaucher des acteurs avec qui vous vous entendez bien, mais ce n’est pas obligatoire de vouloir aller boire un verre avec eux après le tournage.

Pourquoi mettez-vous souvent en scène des personnages qui écoutent de la musique, qui branchent un iPod ou se passent un vinyle ?
Dans GREENBERG, les goûts du personnage avaient de l’importance. La chanson de Duran Duran, j’avais essayé de la mettre dans mes deux films précédents. Donc j’ai juste décidé que Greenberg allait la passer à la fête, tout simplement. (Rires.) Par ce biais, j’essayais aussi d’aborder l’intensité de Greenberg, d’honorer ses goûts, tout en me faisant plaisir. Sur FRANCES HA, il fallait trouver une musique qui soutienne Frances, qui la représente. Des chansons qu’elle placerait elle-même dans un film.

Quand est-ce que vous allez utiliser une chanson de Noah & The Whale (groupe anglais dont le nom s’inspire de son prénom et du titre anglais des BERKMAN SE SÉPARENT, THE SKID AND THE WHALE) ?
(Il explose de rire.) C’est drôle parce que je ne les ai jamais rencontrés. Il y a quelques années, je me baladais en voiture à L.A. et une chanson que j’appréciais passait à la radio. J’ai alors vu que l’écran de l’autoradio disait « Noah & The Whale ». J’avais l’impression d’être dans LA QUATRIÈME DIMENSION ! Du coup, je n’ai pas vraiment écouté leur musique depuis parce qu’il y a quelque chose de vraiment étrange là-dedans… Mais je suis heureux qu’ils existent et surtout, que ce soit un bon groupe ! (Rires.)

Un film dénote sur votre CV : MADAGASCAR 3. Comment vous êtes-vous retrouvé à en écrire le scénario ?
(Rires.) Je comprends qu’à la vue de ma filmographie vous trouviez ça étrange, mais cela ne l’est pas pour moi. J’ai même été très flatté qu’on me le propose car j’avais vraiment aimé les deux premiers. Quand j’ai commencé à écrire MADAGASCAR 3, je ne me rendais pas compte de l’engagement que cela allait impliquer. Bien sûr, j’avais déjà scénarisé un film d’animation avec FANTASTIC MR FOX mais je n’avais jamais bossé sur ce genre de projet de studio. C’est un processus très intéressant : au fil de l’écriture, ils produisent des animatiques qui permettent de voir ce qui fonctionne ou pas. J’ai aimé cette expérience, donc je n’ai jamais pensé à MADAGASCAR 3 comme quelque chose d’absurde. Et puis je ne l’ai pas dirigé moi-même : il a donc une place très claire dans ma carrière.

Votre projet de série LES CORRECTIONS pour HBO était très enthousiasmant…
Désolé (HBO ne l’a pas commandée après le tournage du pilote, ndlr) ! (Rires.)

Que s’est-il passé ? En ferez-vous un film ou pourra-t-on en voir le pilote un jour ?
Non… Mais je dois dire que j’ai beaucoup appris en faisant ce pilote, notamment sur la différence entre faire un film et faire de la télé. Je me suis éclaté à écrire le pilote, à le tourner. Au final nous avons décidé d’un commun accord avec HBO de ne pas aller plus loin. Le récit se déroule sur tellement de timelines… Le présent dans le roman (de Jonathan Franzen, ndlr) est 1999, il n’y avait donc rien de contemporain, ce qui aurait rendu la série très onéreuse. Bien sûr c’était décevant sur le moment mais c’était trop ambitieux, tout simplement. Je ne pense pas que j’en ferai un film un jour car nous avons conçu cette adaptation comme une série. HBO a vraiment soutenu le projet mais a pris la bonne décision, je pense.

FRANCES HA, en salles depuis le 3 juillet / Interview publiée dans Cinemateaser n°25

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