Interview : Scott Cooper, réalisateur de CRAZY HEART et OUT OF THE FURNACE

10-07-2013 - 19:37 - Par

Alors que OUT OF THE FURNACE se dévoile peu à peu, retour sur notre interview exclusive du cinéaste, réalisée l’an dernier, alors qu’il montait son deuxième film.

Interview réalisée en juillet 2012 et publiée dans Cinemateaser Magazine n°17 daté de septembre 2012

Né en 1970, Scott Cooper, formé à l’institut Lee Strasberg, débute en tant qu’acteur dans AUSTIN POWERS 2. Après avoir travaillé par trois fois avec Robert Duvall – dans le téléfilm BROKEN TRAIL de Walter Hill, et les films GODS AND GENERALS et GET LOW –, il s’inspire de son mentor, également cinéaste, et décide de passer à la réalisation en 2009, avec CRAZY HEART. Un drame d’une grande sensibilité qui vaudra à Jeff Bridges son premier Oscar. D’acteur méconnu, Scott Cooper se transforme en jeune auteur à suivre. Un espoir ayant connu la reconnaissance dès ses débuts, sans l’avoir réellement cherchée. Désormais libre de ses choix, il reviendra en 2013 avec le très alléchant OUT OF THE FURNACE, un revenge thriller produit par Leonardo DiCaprio et Ridley Scott, avec Christian Bale, Casey Affleck, Woody Harrelson et Willem Dafoe. Autant dire que tout va plutôt bien pour lui. Admirateur de Michael Haneke dont il attend AMOUR « avec une immense impatience », Jacques Audiard, Ken Loach ou Laurent Cantet (« L’EMPLOI DU TEMPS fait partie de mes films préférés », nous dit-il), il est en verve lorsque nous le joignons au téléphone : « Personne ne connaît mieux le cinéma que les Français. » La vision qu’il en a n’est pas mal non plus.

Pour CRAZY HEART, vous aviez acheté les droits du bouquin de Thomas Cobb avec votre propre argent…
C’est vrai. Mais je n’en avais pas beaucoup cela dit… J’ai donc dépensé toutes mes économies ! (Rires.)

Cela prouve toute votre détermination à devenir cinéaste. Qu’est-ce qui a déclenché votre envie de passer de la comédie à la réalisation ?
Je n’obtenais jamais les rôles que je souhaitais, notamment les premiers. Alors j’ai pris exemple sur mon mentor, Robert Duvall – le plus grand acteur américain, selon moi –, qui est aussi un super scénariste et réalisateur. De nombreux excellents comédiens sont devenus de très bons cinéastes : Sean Penn, Billy Bob Thornton, Ed Harris, Warren Beatty, Clint Eastwood… Je me suis dit que si je voulais m’exprimer complètement, je devais également prendre cette voie.

Pourquoi avoir choisi CRAZY HEART pour débuter ?
Durant ma jeunesse, j’ai été initié à la country : Johnny Cash, Waylon Jennings… Des artistes écrivant sur leur expérience de la vie. Au départ, je voulais diriger un biopic de Merle Haggard (Countryman célèbre outre- Atlantique, ndlr), mais les droits de sa vie étaient hors de ma portée. Alors j’ai acheté ceux du livre de Thomas Cobb, qui s’inspire en partie de Merle. Et j’ai écrit ma propre version de cette histoire, en pensant dès le départ à Jeff Bridges.

Vous lui avez « offert » son premier Oscar. Est-ce que ça a laissé une empreinte sur votre CV ?
Quand un acteur de la trempe de Jeff livre une telle prestation et gagne un Oscar, cela facilite les choses par la suite, oui. Notamment pour la phase de casting, car les acteurs connaissent les efforts requis pour obtenir des performances comme celle-là. Christian Bale est un acteur, comme Jeff Bridges, qui choisit ses rôles de façon très minutieuse. Il faut que le rôle lui parle. D’autant qu’il reçoit énormément d’offres. Ce qu’il donne dans OUT OF THE FURNACE est riche, complexe, et très différent de tout ce qu’il a fait auparavant. Surtout que ce n’est pas un rôle très démonstratif. Souvent, les performances les plus discrètes sont les plus délicates à obtenir.

Certains artistes ont parfois du mal à se relever d’un succès obtenu dès leur premier essai. Comment avez-vous vécu la très bonne réception de CRAZY HEART ?
C’est vrai que c’est à double tranchant. Un tel succès vous donne beaucoup d’opportunités, et vous réalisez que les gens attendent vraiment de savoir ce que vous pouvez faire ensuite. Comme vous le dites, certains ne font jamais plus rien après leur première œuvre. Il faut garder ça dans un coin de la tête, mais j’ai essayé de ne pas trop y penser non plus. Car si vous sentez que vous devez vraiment raconter une histoire, que vous voulez le faire sincèrement, que vous avez bien travaillé votre scénario et formé votre cast avec minutie, alors les choses coulent toutes seules. J’ai mis trois ans à m’y remettre après CRAZY HEART, car je ne trouvais rien qu’il m’était nécessaire de raconter.

Diriez-vous donc que vous n’avez d’autre ambition que celle de vous exprimer et de vous nourrir de vos films ?
Tout à fait. Vous savez, gagner des Oscars ou même être nommé, cela n’est que du marketing. Cela dépend de divers facteurs et notamment de votre capacité à jouer le jeu. Un bon film auquel le public répond de façon positive demeure formidable même si l’Académie ne lui offre aucune reconnaissance. Et puis, maintenant que CRAZY HEART a eu sa part de récompenses, je suis libre de faire exactement ce dont j’ai envie !

Après CRAZY HEART, vous aviez beaucoup de projets intéressants, comme BROWNSVILLE GIRL, inspiré d’une chanson de Bob Dylan… Pourquoi avoir choisi OUT OF THE FURNACE au final ? Diriez-vous qu’il est plus difficile de choisir son deuxième film que le premier ?
Oui. Surtout si le premier a été bien reçu. Cela place la barre encore plus haut. Johnny Depp et moi avions effectivement discuté de BROWNSVILLE GIRL. Mais nous n’avons jamais pu accorder nos emplois du temps. Et puis, je n’en avais pas écrit le script, et j’ai vraiment envie de privilégier les projets dont je suis le scénariste, comme OUT OF THE FURNACE…

Au départ, c’était un scénario de Brad Ingelsby, qui avait échoué sur la Black List, non ?
Oui, c’est vrai. Mais quand Leonardo DiCaprio et Ridley Scott m’ont proposé de le réaliser, je n’ai pas vraiment aimé le script… Je l’ai donc totalement réécrit.

Comment décririez-vous OUT OF THE FURNACE ?
Je pense qu’il est hors des standards habituels du cinéma américain. Il a une sensibilité plus européenne dans ses thèmes, la caractérisation de ses personnages, son rythme. Après, il pourra séduire le public aussi bien aux États-Unis que dans le reste du monde, car il est assez universel dans son propos. Il examine la nature de la violence dans une société où les hommes tentent de prendre leur destin en main. On a vu ça avec les révolutions arabes, en Syrie actuellement, en Egypte aussi, ou en Libye. Mais ce sont des mouvements qu’on trouve aussi au Sud de Los Angeles, à Detroit et dans d’autres villes à travers les États-Unis. FURNACE est aussi une histoire simple sur la vengeance, mais traitée de manière non conventionnelle. Christian Bale livre une performance inédite. Idem pour Zoe Saldana.

Cela semble très différent de CRAZY HEART… Pour vous, c’était important de démontrer à vous-même et à l’industrie que vous pouviez vous diversifier ?
Pas à l’industrie, car il est primordial de faire des films pour des raisons personnelles. En tout cas, c’est comme ça que je fonctionne. J’aime m’exprimer de diverses façons. Qu’Hollywood y réponde ou pas, ça m’importe peu. Avec OUT OF THE FURNACE, je désirais dire certaines choses. Et effectivement, cela n’aura rien à voir avec CRAZY HEART, qui était assez mélancolique tout en s’ouvrant sur une note d’espoir. Sur FURNACE, le ton est plus morose, le film traite de thèmes assez graves et en même temps, de renaissance, de révolution. Cela parle de nos soldats qui rentrent d’Irak ou d’Afghanistan, et se retrouvent sans futur, de la crise économique, de tous ces boulots qui se délocalisent vers la Chine. Cela parle de la mort…

Vous dites vouloir faire des films pour des raisons personnelles… Diriez-vous dans cette optique que le cinéma est un medium de réalisateur et non d’acteur ?
Oui, complètement. Selon moi, le cinéma permet aux scénaristes et aux cinéastes de s’exprimer. Bien plus que ne le permettent les autres formes contemporaines d’art. C’est ce dont parlaient Godard et Truffaut quand ils parlaient du terme « auteur ». Les cinéastes qui m’ont influencé sont pour la plupart leur propre scénariste : John Cassavetes, Terrence Malick, Francis Coppola, et chez les plus jeunes, Paul Thomas Anderson ou James Gray.

Pensez-vous que la génération émergente de cinéastes est plus cohérente que la précédente ? Plus ambitieuse ? Vous essayez de créer une œuvre ayant du sens…
J’ai le sentiment que ces dernières années, peu de films anglo-saxons s’avèrent réellement marquants. Ceux qui le sont viennent de cinéastes comme Wes Anderson, Terrence Malick, Paul Thomas Anderson, James Gray, Jeff Nichols, Cary Fukunaga ou Benh Zeitlin. Des artistes qui prennent des risques, à une époque où la plupart des gens courent voir des films de super-héros ou une énième suite… Dès que vous cherchez à faire des œuvres intemporelles, vous nagez à contre-courant. J’ai l’impression que c’est mon cas : après CRAZY HEART, j’ai reçu énormément de propositions des majors, mais rien qui me permettait de réellement m’exprimer. J’ai donc préféré continuer à créer mon propre matériau.

Beaucoup de jeunes auteurs américains, vous compris, semblent inspirés par les années 70. Pourquoi, selon vous ?
C’était un âge d’or ! Le plus souvent, et en grande majorité, le cinéma que je regarde date de cette époque : Terrence Malick, Michael Cimino – dont VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER m’a inspiré pour OUT OF THE FURNACE. Les thèmes et la narration des films de cette ère sont plus exigeants. Ils poussent le public à participer. De nos jours, chacun est perpétuellement collé à son smartphone, et veut tout obtenir sur l’instant. Au point que cette gratification instantanée ne suffit même plus. Mes films, ou ceux d’Anderson, Gray et d’autres, nécessitent la patience et l’investissement du public, qu’il s’attache aux personnages. Aujourd’hui, beaucoup trop de films sont montés de façon épileptique, ils ont tendance à n’avoir aucune âme. Pire : de plus en plus, ils ont tendance à se faire uniquement pour des raisons commerciales.

Plus généralement, comment décririez-vous les ambitions de votre génération ?
Les jeunes réalisateurs dont nous avons parlé ne travaillent pas pour avoir des Oscars. Je crois qu’aucun de ces réalisateurs ne fait attention au box-office non plus. Ils veulent juste faire des films ayant du sens et qui passeront l’épreuve du temps.

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.