ELYSIUM : chronique

14-08-2013 - 08:37 - Par

Quatre ans après son bijou DISTRICT 9, Neill Blomkamp creuse son sillon avec un opus SF conscient, d’une rare agressivité et, en affirmant sa personnalité, signe le meilleur blockbuster de l’été.

« 2154. La Terre n’est plus qu’un bidonville, où la population ne travaille que pour survivre et pour renforcer le bien-être d’une poignée de privilégiés exilés dans une station spatiale orbitale, Elysium. Observant avec envie ce paradis d’opulence, certains tentent d’y immigrer clandestinement, mais se font perpétuellement repousser par les politiques ultra-sécuritaires d’Elysium, menées par la Secrétaire Delacourt (Jodie Foster). Max (Matt Damon), ex-taulard devenu ouvrier, rêve de se payer légalement le billet pour la station. Mais lorsqu’il est irradié dans l’exercice de son travail et n’a plus que cinq jours à vivre, il va tout faire pour infiltrer Elysium et profiter de ses infrastructures médicales, capables de tout guérir… » Avec un tel pitch, ELYSIUM se pose forcément en film conscient, abordant de front des problématiques actuelles telles que le fossé grandissant entre Nord et Sud ou l’immigration de populations en quête d’un jour meilleur. Un récit de science-fiction ancré dans une certaine réalité politique, se déroulant pourtant dans le futur : ELYSIUM partage énormément avec le premier film de Neill Blomkamp, DISTRICT 9 – qui se penchait sur l’apartheid. Soit l’opposition de deux univers aux frontières quasi imperméables dont la confrontation va transformer le monde. Neill Blomkamp, en récupérant un budget de 125 millions de dollars (DISTRICT 9 en avait coûté 30) et un casting de stars, n’entre pas seulement dans la cour des blockbusters hollywoodiens. Il affirme son identité de cinéaste et sa volonté de livrer des longs-métrages tout public au propos fort et assumé. Une affirmation autant narrative qu’esthétique, ELYSIUM reprenant avec envie l’imagerie de son prédécesseur : bidonvilles filmés caméra à l’épaule en un sursaut de réalisme frappant, incursion indétectable de CGI dans des décors réels, prestations d’acteurs allant du naturalisme à la théâtralité… En observant le monde d’ELYSIUM sans détourner le regard, sans prendre de gants, Blomkamp tend un miroir déformant aux sociétés occidentales. Un miroir ne cherchant jamais la culpabilisation, mais la prise de conscience. Le Sud-Africain aligne des scènes d’une rare puissance, à la portée tragique horriblement fascinante – ici, on assiste à des séquences d’arrestations arbitraires, de déportation, de destruction sommaire de vaisseaux contenant des immigrés clandestins. Il faut dire que contrairement à DISTRICT 9, qui était mu par des lignes de fractures entre Bien et Mal parcourant chacun des deux camps (humains et aliens), ELYSIUM propose une délimitation des mondes bien plus tranchée, à la limite du manichéisme – l’ultra libéralisme qui dirige notre monde actuel ne faisant lui non plus guère dans la subtilité – où pauvres et riches sont clairement séparés, où bidonvilles et Elysium se font face sans jamais se confondre. Surtout, Blomkamp s’intéresse cette fois à un oppressé qui aide à construire ses bourreaux – Max est ouvrier dans une usine de droïdes policiers –, là où DISTRICT 9 suivait un oppresseur changeant peu à peu son regard sur son monde en devenant ceux-là mêmes qu’il ostracisait. En résulte un point de vue d’une rare noirceur, dénué d’espoir, gorgé d’injustice, qui pousse parfois ELYSIUM à trébucher : pour créer l’empathie envers Max, Blomkamp dissémine quelques flashbacks assez malheureux sur son enfance, écrits à la va vite et inutiles ; il donne naissance à un méchant monolithique campé par un Sharlto Copley en roue libre ; il construit une romance guère fouillée, où le personnage d’Alice Braga fait presque office de potiche aux motivations certes compréhensibles mais assez mal exposées. Il n’en demeure pas moins qu’ELYSIUM souffre au final assez peu de ces défauts pourtant évidents. Car le film a la force de ses ambitions : motivé par un net sentiment d’urgence, ELYSIUM s’affirme en course poursuite d’1h45, où le récit, l’émotion et les personnages sont littéralement happés – voire broyés – par le chaos d’une fuite en avant anxiogène et haletante. En effet, ELYSIUM ne brille volontairement pas par ses enjeux narratifs, mais par sa volonté de prendre le spectateur par le col. En sort une œuvre d’une rare agressivité. Le propos, les intentions, la mise en scène – heurtée, syncopée, pétrie d’idées –, le sound design, la bande-originale, les performances d’acteurs : tout ici sert à livrer un film bruyant et violent, dans lequel le spectateur n’a aucune échappatoire, si ce n’est de se confronter à ce monde désespéré et inhumain, qui pourrait bien être le nôtre. Pourtant, de cette agressivité patente ne naît aucune moralisation. Car Blomkamp a la malice de faire de son troisième acte un exemple d’ambiguïté, poussant le spectateur à réfléchir sur ce qu’il vient de voir. Sans trop en révéler : les événements concluant ELYSIUM s’affirment-ils en fugace note d’espoir ou en cache-misère digne d’un certain paternalisme colonialiste ? Blomkamp laisse la réponse à tout un chacun. C’est tout le brio d’ELYSIUM : bien que blockbuster mainstream et grand-huit implacable, il s’agit avant tout d’un film dense, confiant en l’intelligence de son public. Il faudra sans doute le revoir encore et encore pour en percer toute la portée. En attendant, ELYSIUM s’affirme sans conteste comme le blockbuster hollywoodien le plus marquant de l’année, dont la puissance résonne encore longtemps – des semaines – après la vision. Et Neill Blomkamp de confirmer qu’il est bien l’un des jeunes cinéastes les plus exaltants de sa génération.

De Neill Blomkamp. Avec Matt Damon, Jodie Foster, Sharlto Copley. États-Unis. 2h. Sortie le 14 août.

 

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