LE MAJORDOME : chronique

11-09-2013 - 10:05 - Par

Lee Daniels retrace le parcours du majordome qui a servi trente-quatre ans à la Maison-Blanche sous huit présidents. Un homme qui a accompagné l’histoire américaine.

Cecil Gaines, incarné par Forest Whitaker, est l’avatar fictionnel d’Eugene Allen, majordome qui officia à la Maison-Blanche de 1952 à 1986. Retracer le destin de l’homme qui servit huit Présidents (de Eisenhower à Reagan), c’est raconter, via un témoin privilégié, l’éradication du racisme et de la ségrégation au plus haut sommet de l’État. LE MAJORDOME n’est pas une biographie : certains faits ont été modifiés ou créés de toutes pièces, afin que Cecil cristallise l’Histoire américaine et que, par son seul regard, le film puisse balayer soixante ans d’évolutions. Et poser encore davantage de questions. Car Cecil, jeune esclave des champs de coton, va s’élever socialement en devenant le serviteur des blancs. Son recruteur lui explique qu’ »à la Maison-Blanche, il n’y a aucune tolérance pour la politique ». Une ironie qui le force à se dépolitiser. Ainsi privé de toute conscience civique, il va se perdre entre les décisions des puissants et l’activisme du peuple noir. Et s’éloigner de son fils (David Oyelowo), engagé auprès de Martin Luther King puis de Malcolm X. Cecil est-il un esclave consentant d’une Amérique qui a conditionné les Noirs à s’asservir ou est-il au contraire, comme Luther King l’affirme, un être « subversif » qui s’ignore ? LE MAJORDOME est donc plus que l’hagiographie d’un témoin politique. Il ouvre des pistes de réflexion sur l’émancipation des opprimés et tend un miroir cruel à tous les Américains, via de nombreuses scènes à la puissance dévastatrice. Le réalisateur Lee Daniels est un rebelle pacifiste mais au cinéma, il dérange. LE MAJORDOME n’est ni poli ni beau sous tous rapports. C’est une œuvre de mauvais goût où le grain de l’image est gros, où les lumières sont cramées. Où Mariah Carey joue une esclave violée par son propriétaire terrien, où Oprah Winfrey incarne une desperate housewife alcoolique, où Lenny Kravitz met le tablier pour faire des petits fours. S’il n’est bien-pensant, LE MAJORDOME peut être rebutant : les maquillages prothétiques y sont franchement borderline, et cette certaine théâtralité peut friser la soirée déguisée. Mais sous cette grossièreté cinématographique, explosent une vraie flamboyance et une grande honnêteté. On est loin de l’entreprise cynique et bâclée. L’histoire, qui idéologiquement peut atteindre une grande complexité, est submergée par l’émotion, elle est racontée sans ambages, en ligne droite, et le règlement de compte que l’Amérique entreprend avec elle-même est douloureux. Il y a chez Lee Daniels, déjà responsable de PRECIOUS et PAPERBOY, une manière de s’exprimer sans s’excuser qui peut passer pour de l’arrogance ou de l’inconscience. Mais elle peut aussi révéler une personnalité entière des plus touchantes.

De Lee Daniels. Avec Forest Whitaker, Oprah Winfrey, David Oyelowo. États-Unis. 2h12. Sortie le 11 septembre

 

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