RUSH : chronique

25-09-2013 - 11:29 - Par

Cinq ans après FROST/NIXON, le scénariste Peter Morgan et le réalisateur Ron Howard confirment la pétulance de leur collaboration et livrent un des très grands films de l’année.

En 2008, grâce au scénariste Peter Morgan, spécialiste des biopics racés (THE DEAL, THE QUEEN, LE DERNIER ROI D’ÉCOSSE), Ron Howard dirigeait l’un de ses meilleurs films avec FROST/NIXON. Une chronique exaltante et enlevée des relations de répulsion / fascination entre le journaliste britannique David Frost et l’ex Président des États-Unis Richard Nixon, dans laquelle le premier devenait le confesseur offensif des actions douteuses du second dans l’affaire du Watergate. Brio des dialogues, intelligence de la structure du récit, humour saillant, absence de jugement à l’emporte pièce, interprétations habitées, mise en scène précise : FROST/NIXON permettait au public de saisir l’importance de l’Humain dans l’écriture de l’Histoire. Que Morgan et Howard se retrouvent pour observer à nouveau une dynamique de rivalité ne pouvait donc qu’attiser la curiosité, d’autant que le duo ne s’immisce pas cette fois dans l’univers de la politique, mais dans celui du sport, trop peu souvent abordé avec sérieux ou profondeur par le cinéma. RUSH, qui possède toutes les qualités sus citées de FROST/NIXON, revient ainsi sur l’un des duos les plus légendaires de la Formule 1 : James Hunt et Niki Lauda. Deux pilotes qui, dans les années 70, s’opposent sur presque tout : l’un est show-off, flambeur, séducteur, tête brûlée et en quête de reconnaissance quand l’autre est discret, sérieux, raillé pour son physique, précautionneux et sûr de son génie. Presque tout, car Hunt et Lauda, en dépit du fossé apparent qui les sépare, vibrent de la même motivation – celle de devenir un champion – et n’ont de respect indéfectible que pour l’autre. Deux hommes forcément arrogants dont l’humanité émerge par la grâce de l’écriture au cordeau de Morgan, qui rappelle le caractère quasi narcotique de la compétition — Hunt, comme Lauda, semblent en manque et mus d’une grande agressivité quand ils ne peuvent courir –, et celui extrêmement fragile de leur existence – ils risquent leur vie toutes les deux semaines sur les circuits. Hunt vomit avant chaque course, Lauda surmonte ses peurs pour exister, on parle des F1 comme de « petits cercueils » ou de « bombe montée sur roues ». De ce danger permanent, qui fait des pilotes de F1 des années 70 des gladiateurs modernes et des rock stars adulées par des spectateurs n’osant se confronter de la sorte à leur mortalité, RUSH tire une redoutable puissance dramaturgique. Surtout que Ron Howard, guère éduqué à la F1 a priori – ce sport automobile est quasi inconnu aux États-Unis –, sort le grand jeu pour capturer les courses et le fait comme jamais personne avant lui. Caméras embarquées, esthétique de représentation sportive venant pirater l’écran (tableaux, statistiques… : une GRANDE idée pour incarner ce sport et faire bouger les lignes entre télé et cinéma), points de vue multiples, montage nerveux et découpage énergique : même les allergiques au ronron dominical de la F1 se retrouveront ici happés par une atmosphère grisante voire franchement effrayante lorsque RUSH en vient au terrible accident dont a été victime Lauda en 1976. Mais surtout, RUSH brille par l’intelligence de son scénario, où les passages obligés du biopic sont souvent expédiés dans des transitions et des ellipses brutales comme autant de sauts dans le temps relançant perpétuellement l’intérêt et les enjeux dramatiques. Là, dans ce chaos d’émotions lyriques et d’adrénaline, trônent deux hommes interprétés avec une conviction imparable (qu’on espère oscarisable) par Chris Hemsworth et Daniel Brühl et qui, parce que faillibles, ne sont jamais héroïsés au point d’en devenir insaisissables. Armés de leur humour et de leur vista, définis par leurs traumas et un grand sens de la résilience, Hunt et Lauda sont de chair et d’os, affichent une psychologie universelle sur laquelle le spectateur a constamment prise. Il faut dire que Howard et Morgan font preuve d’une méticulosité remarquable, jusque dans les détails les plus discrets : on en veut pour preuve la façon dont Howard filme toutes les scènes entre Lauda et son épouse (excellente Alexandra Maria Lara), en jouant avec brio, mais sans le souligner, sur les silences, les flous ou la place des personnages dans le cadre. Cette relation, peinte avec une virtuosité déconcertante, offre à RUSH certaines de ses séquences les plus poignantes, à égal avec celles mettant en scène l’amitié complexe qui unit Hunt et Lauda. Cette place prépondérante de l’humain dans RUSH, film évitant le spectaculaire vain et le sentimentalisme facile, lui donne des atours européens (presque anti-hollywoodiens) et de classique instantané semblant venir tout droit des années 70. Le chef-d’œuvre de Ron Howard et l’un des plus grands films de l’année, tout simplement.

De Ron Howard. Avec Chris Hemsworth, Daniel Brühl, Alexandra Maria Lara. Grande-Bretagne / Allemagne / États-Unis. 2h03. Sortie le 25 septembre

 

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