Interview : Valeria Golino pour MIELE

25-09-2013 - 12:43 - Par

Actrice à la carrière internationale et diversifiée – de RAIN MAN à RESPIRO ou HOT SHOTS –, Valeria Golino passe à la réalisation avec un portrait de femme marquant et poignant. Nous avions rencontré la néo cinéaste en mai à Cannes, où elle présentait son film à Un Certain Regard. Entretien.

Qu’est-ce que cela signifie pour vous de présenter votre premier film de réalisatrice à Cannes ?
J’en suis très fière. Je sais que c’est naïf, mais cela me donne beaucoup de force et l’envie de continuer, bien sûr. C’est une grande reconnaissance. Quand j’avais 19 ans, j’ai fait STORIA D’AMORE, qui a gagné de nombreux prix à Venise. Bien sûr, c’est assez narcissique, mais pour moi, ce genre de choses donne la responsabilité de continuer à faire de beaux films, des films d’auteur. Cela donne une direction à suivre.

Vous traitez d’un sujet très difficile dans MIELE, l’euthanasie. N’aviez-vous pas peur de vous confronter à un tel thème pour votre premier film ?
J’avais peur de ne pas arriver à le raconter comme je le voulais, en raison de mon manque d’expérience. Mais je n’avais pas peur du sujet en lui-même, de sa noirceur ou de son éventuelle impopularité. La perception des autres n’était pas mon problème quand j’ai décidé de faire MIELE. Au-delà, les pièges compris dans ce sujet, dans les scènes, dans les dialogues m’ont parfois effrayée. Car mon traitement aurait pu être extrêmement vulgaire.

À aucun moment vous ne donnez votre opinion sur l’euthanasie, vous poussez surtout le public à avoir son propre avis. Etait-ce pour vous l’un des buts essentiels du film ?
Oui, totalement. Je ne voulais pas m’opposer au public, mais l’accompagner. Car tu ne peux pas être définitif sur ce genre de thèmes car les histoires humaines sont toutes différentes : les choses ne sont pas toujours justes ou injustes. Entre ce qui est juste et ce qui est injuste, il y a mille niveaux de nuances toutes plus puissantes que les deux vérités morales. Et ces nuances définissent l’existence.

Le film ne traite pas nécessairement de l’euthanasie mais plutôt du rapport de chacun à la mort en général, non ?
Bien sûr ! Je voulais observer la mort du point de vue de celle qui la donne, Miele, et pas seulement de ceux qui la subissent. Mais aussi du point de vue des proches de ceux qui choisissent l’euthanasie : je voulais conter leur rage, leur honte, l’affection qui les unit, Comme ce couple au début du film, dont la femme malade et dont le mari pleure avant qu’elle ne soit euthanasiée. S’il y avait un au-delà, ils s’y retrouveraient, c’est certain. Ces détails de l’existence humaine sont très puissants à mes yeux.

Avec un tel sujet, avez-vous eu du mal à trouver des financements ?
Mes producteurs et moi, on a une toute petite boîte et on n’a même pas de bureaux ! (Rires.) On a juste investi une petite pièce chez un ami, un des producteurs de Paolo Sorrentino. C’était difficile car personne ne voulait donner d’argent…

Surtout en Italie, un pays très pieux…
Oui, mais même les gens qui ne sont pas des militants catholiques tiquaient… Les lois du marché jouaient contre MIELE. Les gens n’avaient pas nécessairement un problème moral avec le film. Mais nous nous posions forcément des questions sur le potentiel commercial du projet…

Le fait d’être en sélection à Cannes est donc une chance…
Oui car depuis, beaucoup ont changé d’avis… (Rires.)

Comment le film a été reçu en Italie ?
Incroyablement bien. Il a été accueilli avec une grande bienveillance et cela m’a fait énormément de bien… Cela m’a confortée dans mon idée de cinéma. Je crois que les gens sont plus que près à recevoir ce genre de films. L’industrie fonctionne sur un paradoxe actuellement : le public veut réfléchir, veut vivre de vraies expériences, veut voir des films plus riches et plus denses. Mais l’industrie ne lui en donne pas la possibilité. En Italie, on a deux films d’auteurs pour vingt-cinq films de divertissement pur. Et dans ces vingt-cinq, seulement deux sont biens. Cela dit, je sais très bien que MIELE ne fera pas des millions d’entrées, qu’il ne sera jamais IRON MAN. (Rires.)

En quoi le fait d’être actrice a influencé vos choix de réalisatrices, autant dans le rapport avec les acteurs que dans l’esthétique de MIELE ?
Pour la direction d’acteurs, je savais déjà ce que je voulais faire. J’ai donc surtout beaucoup réfléchi sur la lumière. Pas comme un technicien – car j’avais un très bon directeur de la photographie, très rigoureux, très sérieux, Gergely Pohárnok – mais comme un storyteller car la lumière raconte quelque chose, selon moi. Elle peut être émouvante, froide… Une lumière peut totalement « faire » une scène.

Il y a aussi la folle énergie de Miele qui se confronte à l’inertie de la mort. Elle est toujours en mouvement. Visuellement, le film va assez vite, avec une mise en scène très vivace.
Oui, Miele a une grande vitalité. Le rythme est une musique. Les films doivent hypnotiser, cela doit être sensoriel. Quand j’ai fait RESPIRO, je me suis rendu compte quel film Emanuele (Crialese, ndlr) avait créé une fois le film fini : la différence entre ce que nous avions fait sur le plateau et ce qu’il en avait fait ensuite était énorme. Là j’ai compris que sur un film, le réalisateur est tout. Emanuele avait créé tout un univers sans que je m’en rende compte sur le tournage.

Vous avez travaillé avec des réalisateurs très variés dans votre carrière : Barry Levinson, Mike Figgis, John Carpenter… Est-ce que chaque rôle, chaque film vous a nourrie et aidée à diriger MIELE ?
Oui, un peu. Mais je dois dire que je me suis surtout inspiré de tous ces réalisateurs que j’aime et avec qui je n’ai jamais travaillé. C’est comme un mariage : on connaît parfaitement son compagnon, et du coup, on fantasme sur l’inconnu. Et puis, un artiste que l’on ne connaît pas, on peut le piller ! (Rires.) Voler, c’est le plus grand Art ! Il faut dire que je viens de Naples et là-bas, c’est le sport local ! (Rires.)

Vous avez fait carrière en Italie, en France, aux Etats-Unis. Comment avez-vous choisi vos rôles ? Y a-t-il eu beaucoup d’accidents ?
Oh oui, beaucoup d’accidents ! Je savais plus ou moins ce que je ne voulais pas faire. Mais les circonstances et la chance ont de l’importance, c’est certain. Il y a mille raisons pour accepter ou refuser un projet. J’ai aussi fait beaucoup de bêtises, j’ai refusé des films pour le regretter ensuite. Par exemple, j’ai refusé un film de Ken Loach, SECRET DÉFENSE et ça, c’était une grosse bêtise… La carrière d’un acteur c’est aussi ça : elle dépend de notre vie personnelle, de nos états d’âme. Et du coup, parfois, si on n’est pas bien dans notre vie, on fait un peu n’importe quoi.

Mais y a-t-il des films que vous regrettez d’avoir fait ? Par exemple, j’aime beaucoup HOT SHOTS mais dans une carrière comme la vôtre, ce film pourrait apparaître comme une erreur…
Pour le coup, je ne regrette pas du tout d’avoir fait HOT SHOTS. C’était même un plaisir ! Je n’ai jamais calculé ce qu’un projet pouvait apporter à ma carrière. Il faut au moins s’arroger cette liberté. Je me demande juste si j’ai envie de faire un film, si j’ai envie de passer deux mois avec telle ou telle personne, si je peux apprendre d’un cinéaste ou d’un acteur, si le lieu de tournage m’intéresse. Par contre, les choix de carrière, ce n’est pas pour moi. C’est pour cela que Hollywood et moi…

Vous n’étiez pas assez ambitieuse, peut-être ?
Oui, peut-être. J’ai fait 17 films aux USA, mais je doute sur tout… Pour être une star à Hollywood, il ne faut pas avoir de doutes sur ce que l’on veut.

Dustin Hoffman disait qu’il était passé à la réalisation car il n’y avait plus de bons premiers rôles pour les acteurs de plus de 40 ans… Vous avez ressenti ça aussi ?
C’est un peu moins marqué en Europe, donc ça a aidé. Cela dit, un rôle comme Miele, je n’aurais pas pu le faire. Dustin a 70 ans donc il doit comprendre qu’il ne peut plus faire tous les rôles.

En fait, il dit surtout que le cinéma est devenu trop jeuniste…
Oui, c’est vrai mais cela a toujours été le cas, non ? Pour les femmes, cela a un peu évolué : nous avons plus de temps qu’avant. Par le passé, à 45 ans on était déjà considérée comme une vieille. Mais qu’est-ce qu’on peut y faire ?

Est-ce que votre beauté a posé un problème dans votre carrière ou a-t-elle été uniquement un avantage ?
Mon caractère a posé problème, mais pas ma beauté. Mon physique n’a été qu’un cadeau. Et je l’ai offert aux autres ! (Rires.)

MIELE de Valeria Golino est en salles depuis le 25 septembre. Lire notre critique

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