L’ÉTRANGE COULEUR DES LARMES DE TON CORPS : chronique

12-03-2014 - 09:45 - Par

Un cauchemar labyrinthique en forme de trip sensoriel dont on peine à trouver la sortie. Fascinant mais éreintant.

Avec AMER, Hélène Cattet et Bruno Forzani avaient redonné un peu de forme au cinéma de genre. Englouti sous les références et les citations explicites, leur film remontait à la surface grâce à sa précision formelle. À mi-chemin entre le cinéma « bis » un peu fou et l’art cinétique contemporain, L’ÉTRANGE COULEUR… reprend le chemin tortueux et torturé de son aîné. Pourtant, en l’état, l’ouverture du film semble plutôt faire revenir Cattet & Forzani dans le chemin linéaire du thriller à tendance parano. Un homme épuisé rentre chez lui, après un long voyage d’affaires. Il trouve son appartement vide. Sa femme a disparu. S’ensuit alors, au moins pour quelques minutes encore, le début d’une enquête plutôt rationnelle. L’a-t-elle quitté ? L’a-t-on enlevée ? Mais cette disparition n’est qu’un guide bien mince au milieu d’un récit éclaté où chaque porte ouverte éloigne plus profondément encore de la sortie. Enfermé dans un immeuble, le récit fonctionne comme une commode à tiroirs sans fin et sans fond où chaque étage renverrait à un autre. Au fil de son « enquête » névrotique, l’homme part à la rencontre de ses voisins qui ont chacun une histoire à lui raconter. Film à sketches ? Ce serait trop simple. Si AMER découpait son récit de manière chronologique en identifiant chaque période à un style et des références précises, ici tout n’est que fragments et recompositions permanentes. Les récits de chacun s’emboîtent et se mélangent, disparaissent pour mieux resurgir à l’écran et laissent le spectateur dans un état de trouble et d’inquiétude permanent. Rien ne coïncide ici, pas même ce récit totalement mental avec cette mise en scène totalement charnelle. C’est l’état de transe que cherchent Cattet & Forzani en dissociant de cette façon le corps et l’esprit de ces personnages mais aussi ceux du spectateur. Le film est surtout un véritable laboratoire formel, où chaque image, chaque décor, chaque visage ou même inflexion de voix obéissent à une stylisation à la fois extrêmement complexe et profondément primitive. Ils mélangent ainsi les égarements lynchéens avec le pré-cinéma de Marey, le symbolisme gore d’Argento avec les ors du style Art Nouveau, l’élocution très aléatoire des acteurs de série B avec le lyrisme le plus dégénéré, la sophistication de la femme fatale post-De Palma avec le fantastique le plus abscons. On se laisse happer par cet imbroglio de sons et de sens tandis que notre esprit cartésien supplie pour que ça s’arrête. On en ressortira, au choix, agacé par ce cinéma-brouillard qui enfume ou, au contraire, perturbé et fasciné, comme au sortir d’un cauchemar dont on redouterait de comprendre le sens véritable.

De Bruno Forzani et Hélène Cattet. Avec Klaus Tange, Sam Louwyck, Jean-Michel Vovk. Belgique. 1h42. Sortie le 12 mars. 

 

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