Cannes 2014 : JAUJA / Critique

19-05-2014 - 17:37 - Par

De Lisandro Alonso. Sélection officielle, Un Certain Regard.

Pitch : Un père et sa fille voyagent du Danemark à un désert inconnu d’avant la civilisation. La fille tombe amoureuse et s’enfuit avec un jeune homme qui fait partie du petit groupe de son père, Gunner Blixen. Celui-ci se lance dans une quête de tout ce qui le rattache au monde. Le temps et l’espace se confondent jusqu’à être suspendus autour d’un chien, qui mute et finit par incarner peut-être l’énigme de la création. (Source : Les Films du Worso)

À Cannes, plus qu’ailleurs, il existe une catégorie très spécifique de film qui met le critique en déroute. On les appelle les « films beaux mais chiants ». Durant toute la durée de la projection, il se livre un combat titanesque entre le sentiment d’absolu de la beauté de l’œuvre et une forme de cartésianisme qui oblige à l’honnêteté. Alors, soyons clair, JAUJA n’est pas un film pour tout le monde. On parlera poliment de film qui se « mérite ». Mais c’était à prévoir de la part de Lisandro Alonso. Le cinéaste argentin pratique un art visuel hiératique qui trouve dans ce nouveau projet une puissance nouvelle. D’emblée le film surprend par son format étrange. Quelque part entre la diapositive et le format 4/3, le cadre du film donne tout de suite un goût d’ailleurs et d’étrange à cette sombre histoire d’errance. La beauté stupéfiante des plans donne l’impression de voir comme une vue Lumière qui s’animerait soudainement sous nos yeux. Les acteurs, souvent statiques, prennent une pose que le travail sur la couleur et la lumière magnifie. Comme hors de l’espace et du temps, JAUJA réussit à créer un no man’s land de la fiction qui produit une forme d’onirisme étrange. Devant ces soldats hagards qui attendent on-ne-sait-quoi resurgit tout une mythologie absurde que le film s’ingénie à construire. Quelque part entre le drame ascétique et la divagation mentale, JAUJA s’avère surtout être un curieux film d’aventure contemplatif où l’exploration du territoire vire à la quête intime. Le mélange des langues et leur interchangeabilité au cours du récit renforce ce flottement de la raison. On pense souvent à ALICE AU PAYS DES MERVEILLES devant ce film qui semble à la fois très concret et parfaitement abstrait. Lisandro Alonso réussit à créer par le paysage désertique de la pampa un curieux labyrinthe où monstres et fantômes s’invitent au détour d’un rocher. L’épuisement progressif du personnage de Viggo Mortensen, parti en quête de sa fille disparue, participe d’une forme de somnolence progressive du récit qui vire à la contemplation hallucinée. Hanté comme un film de Raoul Ruiz, vibrant comme le TABOU de Miguel Gomes, JAUJA est un récit d’aventure somnambulique, certes aride mais dont on garde en tête pour longtemps les images primitives.

De Lisandro Alonso. Avec Viggo Mortensen, Ghita Nørby. Argentine / Danemark. 1h41. Prochainement

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