Cannes 2014 : RED ARMY / Critique

17-05-2014 - 10:17 - Par

De Gabe Polsky. Sélection officielle, hors compétition, séances spéciales.


Synopsis : Le documentaire RED ARMY conte l’histoire de la fameuse équipe soviétique de hockey sur glace, la « Red Army », et se penche ainsi sur la manière dont le sport pouvait cristalliser les fondements même de la Guerre Froide et de l’opposition entre les blocs de l’est et de l’ouest.

« Je ne peux pas vous garantir que les gentils gagnent à la fin », nous dit Ronald Reagan en guise d’introduction à RED ARMY. Rires, bien sûr. Il faut dire que le film revient sur le fabuleux palmarès de l’équipe de hockey nationale de l’Union Soviétique, « preuve que le système fonctionnait ». Le système communiste, évidemment, puisque l’équipe, créée sous Staline, a connu ses plus grandes heures sous la Guerre froide (1984, Sarajevo, elle est championne olympique, par exemple). En s’entretenant avec Fetisov, l’un des plus grands joueurs de l’époque (il est même devenu capitaine) et personnalité haute en couleur et assez fan du doigt d’honneur, Gabe Polsky dessine les contours politiques d’un sport collectif arme de propagande. « Le sport, c’est une guerre » nous dit-on à mesure que se dévoilent les accointances et les liens plus évidents entre le KGB et le hockey. Mais RED ARMY, série d’entretiens et d’images d’archives rares, a oublié d’être trop solennel : aux côtés d’un ancien du KGB, chargé d’escorter l’équipe durant les déplacements à l’Ouest (lors des JO de Lake Placid notamment), sa petite fille s’interroge : c’est quoi le KGB ? Une époque révolue, presqu’un folklore de roman d’espionnage, non ? Le régime répressif du communisme, rappelé au souvenir d’anciens joueurs adulés, n’est pourtant pas si loin. De témoignages en témoignages, on passe du rire franc aux grincements de dents. Ces athlètes – aujourd’hui en paix – étaient entraînés à la dure, ont été forcés à tous les sacrifices pour défendre les valeurs du système face au capitalisme. Des amitiés ont été détruites, des tortures ont été pratiquées. Polsky soulève on-ne-peut-plus frontalement la question du collectif contre l’individu face à un Fetisov qui a été littéralement le prisonnier sportif et politique d’un gouvernement méprisant ses ambitions : à la chute du bloc soviétique, on a autorisé le hockeyeur à partir en NHL, promesse d’une carrière et d’une vie meilleures. Mais pas à quitter le pays. Craignant l’émigration massive des talents, la vieille Russie s’accrochait à ce qu’elle savait faire de mieux : l’intimidation. Fetisov, face caméra, évoque la fin des idéaux communistes, la découverte du jeu individualiste très yankee, et le prix de l’American dream… Mais même les Américains l’avouent : le jeu russe a une force cohésive qui dominera toujours le jeu plus personnel des Américains. Alors, qui est-ce qui gagne à la fin ? RED ARMY, documentaire enrichissant et malicieux, porte un regard profondément humaniste sur ces athlètes qui ont été faits et défaits par la géopolitique. Et sur le sport comme insurpassable opium du peuple.

De Gabe Polsky. États-Unis. 1h25. Prochainement.

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