Cannes 2014 : THE TRIBE / Critique

23-05-2014 - 12:52 - Par

De Myroslav Slaboshpytskiy. Semaine de la critique


Synopsis officiel : Sergey, sourd et muet, entre dans un internat spécialisé et doit subir les rites de la bande qui fait régner son ordre, trafics et prostitution, dans l’école. Il parvient à en gravir les échelons mais tombe amoureux de la jeune Anna, membre de cette tribu, qui vend son corps pour survivre et quitter l’Ukraine. Sergey devra briser les lois de cette hiérarchie sans pitié.

THE TRIBE appartient assurément au genre très prisé et peu populaire des films dits « de festival ». C’est-à-dire un objet choc, extrêmement stylisé, qui va à l’encontre de toutes les règles de l’industrie cinématographique. En gros, un film invendable. Difficile de faire moins glamour et attrayant que ce premier long-métrage entièrement tourné en langage des signes et non sous-titré. Pas de dialogue, juste une belle pantomime dont le sens nous échappe toujours. THE TRIBE joue la carte du radical sans jamais se défaire une seule fois de la raideur de ses ambitions. Dans de longs plan-séquences, souvent fixes, le spectateur se trouve être le témoin de la descente aux enfers d’un jeune homme, aux prises avec une mafia d’adolescents qui sévit dans son pensionnat. Devant ce récit d’apprentissage extrêmement brutal, on pense à Dickens. THE TRIBE est un conte terrible qui nous projette dans un monde dominé par le corps. Le fait que tous les acteurs soient sourds et muets n’est pas un gimmick mais plutôt un moyen par lequel le réalisateur réussit à traduire de manière extrêmement originale et puissante la violence du film noir. Devant ces longs plans, précis et travaillés, comme ouverts sur une menace invisible, surgit le fantôme du cinéma d’Haneke. Le film crée un conflit passionnant entre la dimension tragique et inexorable de son récit et la lourdeur des corps à l’écran. Rythmé par des sons étouffés, très troublants, le film se paie le luxe de devenir un film sonore. On est happé par cette nouvelle manière de mettre en scène le corps, non plus comme une entité vide remplie par la voix, mais bien comme une somme de sons. Claquement de main, frôlement des doigts, bruissement des jambes, le film exacerbe la sensualité. Mais il n’y a rien de séducteur dans THE TRIBE puisque tout est ramené à la pesanteur. Dans une incroyable scène de sexe, le réalisateur filme l’acte comme un assemblage mécanique. Le fatalisme du film, qui vire parfois au grand guignol façon auteur, notamment dans une séquence insoutenable d’avortement, se retourne parfois contre lui-même. À ce degré-là, on frôle le nihilisme. Pourtant, on ressort de ce film épuisant avec un étrange sentiment de plénitude esthétique. Stupéfiant, ce premier film ukrainien réussit le tour de force d’être à la fois sophistiqué et primitif. Rien ne vient sauver ce long-métrage de sa noirceur et c’est peut-être ce jusqu’au-boutisme-là, cette manière d’être campé ainsi sur ses partis pris forts sans jamais en dévier, qui rend THE TRIBE étonnamment attachant. On parlera de choc, de claque, de déflagration, bref de tous les superlatifs possibles et inimaginables pour décrire cet OFNI. Sa plus grande beauté, c’est peut-être justement de réussir à rendre les mots caducs. Seule l’expérience du corps finit par compter.

De Myroslav Slaboshpytskiy. Avec Grigoriy Fesenko, Yana Novikova. Ukraine. 2H10. Prochainement

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.