Dossier / EDGE OF TOMORROW : En sens inverse

03-06-2014 - 16:30 - Par

Doug Liman, réalisateur du blockbuster dont Tom Cruise et Emily Blunt sont les stars, répond aux questions de Cinemateaser.

Ce dossier a été auparavant publié dans Cinemateaser Magazine n°34 daté mai 2014.

De ses débuts dans le cinéma indépendant, Doug Liman a gardé un caractère rebelle et un savoir-faire artisanal. Rien qui ne fait de lui, a priori, un docile réalisateur de studio. Mais, fier de son esprit de contradiction, il gère de grosses productions, dirige des stars. Et affirme sans ciller que EDGE OF TOMORROW, histoire d’invasion alien avec Tom Cruise en tête d’affiche, n’est pas le blockbuster qu’on attend.

Dans un futur proche, des hordes d’extraterrestres ont livré une bataille acharnée contre la Terre et semblent désormais invincibles : aucune armée au monde n’a réussi à les vaincre. Le commandant William Cage (Tom Cruise), qui n’a jamais combattu de sa vie, est envoyé, sans la moindre explication, dans ce qui ressemble à une mission-suicide. Il meurt en l’espace de quelques minutes et se retrouve projeté dans une boucle temporelle, condamné à revivre le même combat et à mourir de nouveau indéfiniment… Mais à chaque salve, Cage gagne en force et en agilité pour affronter ses adversaires, aux côtés de Rita Vrataski (Emily Blunt), agent des Forces Spéciales. Tandis que Cage et Rita affrontent ensemble les extraterrestres, ils découvrent, au fil des combats qui s’enchaînent, les moyens d’anéantir les envahisseurs… » Ça, c’est le pitch officiel de EDGE OF TOMORROW, gros budget made in Warner Bros. qui sort le 4 juin en France. Cinq mois de tournage en Angleterre et Tom Cruise en tête d’affiche peuvent vous donner une vague idée du budget de la chose. Ce à quoi il faut ajouter le chèque généreux (3 millions de dollars, apparemment) que la major a signé à l’ordre de Dante Harper, plumitif qui a eu, un jour dans son coin, l’idée éclairée d’adapter le roman japonais « All You Need Is Kill » (de Hiroshi Sakurazaka) en scénario de film américain. À titre informatif, les studios se sont battus pour l’acquérir. Voilà qui ressemble de près à un gros investissement tout bien gaulé pour être rentable. Bon, Tom Cruise n’a pas toujours été du projet. Avant lui, et sur foi de sources proches de la production, la presse parlait de Brad Pitt. Le réalisateur engagé en juin 2010, Doug Liman, s’est très bien accommodé du départ de Brad, qu’il avait pourtant dirigé dans MR. & MRS. SMITH. Doug voulait Tom Cruise. « Je connaissais son courage. Je savais que ce qu’il avait fait dans TONNERRE SOUS LES TROPIQUES, c’était son idée, qu’il voulait pousser le personnage à fond… Mais Tom ne pouvait pas jouer le personnage du script originel. Or, si vous changez la nature du protagoniste, tout le reste doit être modifié », nous explique Liman à Londres, où il vient de présenter à la presse de longs extraits, convaincants, de EDGE OF TOMORROW. Il précise que « les premières discussions avec Tom concernaient le fait que ce personnage devait être différent de tous ceux qu’il avait joués auparavant. » Le scénario part ainsi en réécritures, d’abord chez les frères Butterworth, Jez et John Henry, déjà derrière FAIR GAME, thriller politique réalisé par Liman. Puis chez Christopher McQuarrie, script doctor notoire et collaborateur privilégié de Tom Cruise – il a été scénariste de WALKYRIE, l’a dirigé dans JACK REACHER et réalisera MISSION : IMPOSSIBLE 5. Il est donc clair que EDGE OF TOMORROW s’est adapté à Tom Cruise, pas le contraire. On a fait mieux comme film d’auteur. « Il a joué dans quoi ? Une quarantaine de films ?, lance Liman. Tom Cruise, ce n’est pas Brad Pitt : Brad ne fait pas beaucoup de films commerciaux mais Tom Cruise, lui, tout le monde a vu ses films. Alors dès que Tom a l’opportunité de camper un personnage qu’il n’a jamais joué, il veut le tenter. Dans EDGE OF TOMORROW, il joue un lâche. »

Cela fait une grosse dizaine d’années que Tom Cruise tâte de la science-fiction, un genre qui lui va particulièrement bien, incarnant l’être irréel et anticipatoire : OBLIVION récemment, MINORITY REPORT ou encore LA GUERRE DES MONDES. Il n’y a guère que dans ce dernier que son personnage, étrange héros, reste passif face au conflit. Dans EDGE OF TOMORROW, il incarnerait donc une version extrême de cette passivité : la couardise. D’aucuns pourraient opposer qu’il est facile de jouer au lâche quand votre personnage a également le pouvoir d’être immortel et l’image d’un surhomme. Mais Doug Liman s’en amuse : « Si vous aimez Tom Cruise, vous adorerez EDGE OF TOMORROW, car il y livre une performance remarquable. Si vous le détestez, c’est parfait : il meurt 200 fois dans le film. » Mais il a une réponse encore plus sérieuse : le commandant William Cage est un super-anti-héros. « Ce n’est pas parce que vous avez soudain un super pouvoir que vous devenez soudain super moral. Un super pouvoir ne fait qu’amplifier vos instincts. Un lâche deviendra d’autant plus lâche. » Louant sa récente tentative dans le musical ROCK FOREVER, Liman souligne à quel point Tom Cruise est en demande de défis : « Mon expérience me fait dire que peu de comédiens auraient accepté d’incarner un personnage si vulnérable. » À un stade de sa carrière où il a presque tout joué, et ce, dans presque tous les genres, Cruise se fait pousser un courage que Liman admire. « Il est téméraire. Et pas juste à l’écran, quand il faut grimper la Burj Khalifa (référence à la cascade événement de MISSION : IMPOSSIBLE 4, ndlr). Il l’est aussi émotionnellement. Il apporte un niveau d’excellence qu’il attend des autres en contrepartie. » Ainsi, selon le réalisateur, Tom Cruise superstar aurait consenti à tourner 7 jours/7 afin de rajouter 20 jours travaillés de prises de vues, sans dépassements de planning. Il n’aurait pris qu’un seul congé de 24 heures en cinq mois de tournage. « Je ne connais aucun collaborateur de Tom qui ne soit dithyrambique à son sujet ». Voilà. D’autant que, n’en jetez plus, Tom Cruise est drôle et, si Liman connaissait la nature rigolote d’Emily Blunt, il ignorait que son acteur pouvait insuffler un vent de comédie à cet actioner SF. Le metteur en scène, qui revendique venir d’une « famille juive capable de trouver de l’humour dans les plus grandes tragédies » voulait que le film puisse refléter cette légèreté : « Il y avait déjà un peu d’humour dans le script. Sans dire que nous avons pu improviser sur le plateau car EDGE OF TOMORROW est un film très technique, j’ai fait des tonnes de répétitions avec Tom et Emily, où ils se sont révélés être des gens très drôles. (…) Je ne savais pas que Tom serait si convaincant dans ce domaine. » Le ton du film s’est donc réellement dessiné sur pièce, lors du travail avec les comédiens. Alors quoi ? Ce que Cruise veut, Doug le veut ? Non. Au contraire, Liman a attiré sa star vers un territoire plus risqué et, figurez-vous, moins grand public que ses films habituels. « Disons que Tom vient d’un cinéma mainstream que tous les gens vont voir à travers le monde. Il fait attention à ce que ses films soient accessibles au plus grand nombre. Moi, j’ai un background différent, mon public de base est bien plus restreint que le sien. Emily est un peu dans mon cas. Le film touchera les fans de Tom, c’est sûr, mais je peux garder la tête haute. »

Que personne ne se méprenne : Doug Liman ne joue pas à l’artiste maudit. Bien sûr, il a fait ses classes dans un certain cinéma indépendant où les budgets ne dépassent pas les 200 000 dollars. C’est avec SWINGERS, comédie dramatique incarnée par Jon Favreau et Vince Vaughn, qu’il s’est fait remarquer en 1996. Depuis, il a versé dans la comédie d’action (MR. & MRS. SMITH), le pur thriller d’espionnage (LA MÉMOIRE DANS LA PEAU), le faux film de super-héros (JUMPER) ou encore le biopic politique (FAIR GAME, présenté à Cannes en 2010). Tous n’ont pas été des succès, mais deux – MR. & MRS. SMITH et LA MÉMOIRE DANS LA PEAU – restent des pierres blanches du cinéma de studio contemporain. « Je n’ai pas honte du cinéma commercial, nous confie-t-il. Il y a des réalisateurs qui veulent faire du Nietzsche et moi, j’ai l’envie presque naïve de faire des films que les gens aiment. En revanche, j’exige qu’ils soient malins et originaux. » Et c’est ce niveau d’exigence qui lui a valu une carrière chaotique à Hollywood. Il se plaît à ressasser son expérience sur LA MÉMOIRE DANS LA PEAU, son premier film commercial, d’où il tient une réputation de réalisateur difficile et de grande gueule. Douze ans après, il se souvient : « Chez Universal, ils avaient une approche très conventionnelle du film d’espionnage. À un moment, ils voulaient vraiment qu’à la fin du film, Jason Bourne se confronte à 200 tueurs à gages. Non seulement j’ai pensé que c’était l’idée la plus stupide qu’on pouvait avoir, mais j’ai, en plus, pris la presse à témoin en lui racontant tout. Stacey Snyder, qui dirigeait le studio à l’époque, est venue me voir et m’a dit : ‘Je ferai en sorte que tu ne retravailles plus jamais dans cette industrie’. Je me suis dit : ‘Quelle phrase cliché ! Dans un film, ce ne serait même pas crédible.’ En même temps, il s’agissait d’un gros studio et peut-être qu’elle en était capable. » Alors Doug Liman s’éloigne du cinéma et crée la série NEWPORT BEACH, « le temps que ça se tasse ». Reste que LA MÉMOIRE DANS LA PEAU a posé les bases d’une franchise- reine, même si elle a reçu ses plus belles critiques lorsque Paul Greengrass a repris le flambeau. Avec le recul, il avoue : « C’était ma première expérience de studio, j’avais tellement peur d’être un vendu que je devenais contrariant, je changeais les choses pour être original à tout prix. Je ne voulais pas faire un produit calibré alors je me suis battu du début à la fin contre le système. Je suis fier du film au final. Surtout que j’ai acquis grâce à lui une place unique dans l’industrie. On attend désormais de moi que je casse un peu les codes. Alors de temps en temps, il y a un projet comme EDGE OF TOMORROW qui me tombe dessus… » L’avantage de cette grosse production ? Elle est produite par Warner, qui a développé au fil du temps une politique de grosses productions d’auteur sous les présidences de Jeff Robinov et Alan Horn et a été le refuge des Wachowski, de Christopher Nolan ou encore de Spike Jonze. En 2012 et 2013, des films comme ARGO, CLOUD ATLAS ou GRAVITY perpétuaient cette tradition. « Aujourd’hui, le cinéma américain se divise entre grosses productions que vous avez l’impression d’avoir déjà vues et films hyper originaux aux budgets restreints. Et puis, il y a des choses comme EDGE OF TOMORROW, de grande ampleur et 100 % originales. (…) Les gens s’attendent à ce que les films hollywoodiens répondent à une formule. » C’est vrai. Et avec son pitch en mode repeat et son look à part empruntant franchement aux jeux vidéo, EDGE OF TOMORROW a été vite rangé dans le tiroir des croisements entre UN JOUR SANS FIN et le hit des consoles « Halo ». Un raccourci qui provoque immédia- tement chez Doug Liman un haussement de sourcils rigolo : « Les gens peuvent bien dire ça avant d’avoir vu le film. Mais je ne pense pas que quiconque l’aura vu pourra dire autre chose que : ‘c’est choquant tellement c’est original pour un film Warner’. J’ai cette position miraculeuse où le studio me demande de ne surtout pas être conventionnel. Personne ne me met la pression pour que je me conforme. On m’a littéralement poussé à faire quelque chose de jamais vu. Chez Warner, ils ont leurs films de masse comme MAN OF STEEL auxquels ils réservent une belle place. Puis ils ont des films qui ne ressemblent à rien d’autre. »

Pour écrire la musique du film, Doug Liman a fait appel à Christophe Beck, compositeur pour grosses comédies (la trilogie VERY BAD TRIP, LES STAGIAIRES, MUPPETS MOST WANTED…). Pas le choix le plus évident pour un blockbuster de SF. Liman est coutumier du fait : « John Powell, que j’avais embauché sur LA MÉMOIRE DANS LA PEAU, était reconnu pour son travail sur les films d’animation (FOURMIZ, SHREK, ndlr). Je ne voulais pas une approche classique. Je ne veux pas m’entourer de gens qui considèrent le cinéma comme un travail à la chaîne. Alors bien sûr, pour EDGE OF TOMORROW, je n’allais pas prendre un compositeur qui avait déjà fait des actioners. Avec Christophe, nous essayons de trouver un son unique. Je fais en sorte que mes films défient les classifications. » EDGE OF TOMORROW est protéiforme. Au début, sa grande scène de débarquement sur les plages normandes en fait clairement un héritier des films de Seconde Guerre mondiale : « Ce que j’aime dans les films d’invasion alien, c’est que l’on revient à un concept très simple. Dans les films traitant de la Seconde Guerre, l’ennemi est évident : ils ont un uniforme avec une croix gammée. Le bien et le mal sont clairement définis alors que les guerres actuelles sont plus floues. Ici, les extraterrestres sont mauvais et nous, on est bons. » Mais s’il revendique une influence, c’est CASABLANCA. Ce grand classique de Michael Curtiz sorti en 1942 et suivant deux anciens amants en temps de grand trouble mondial. « Quand vous opposez la passion et la guerre, vous obtenez des films où il y a tout », nous dit- il. Alors entre William Cage et Rita Vrataski, ce sera la passion. « Si vous me demandez ce qu’est EDGE OF TOMORROW, alors c’est une love story en territoire ennemi. » Et Doug Liman de conclure : « J’essaie de faire un film intime et personnel. Mais avoir Tom Cruise, Warner, des aliens et des voyages dans le temps, ça joue contre moi pour faire passer le message ».

EDGE OF TOMORROW, de Doug Liman. Sortie le 4 juin

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