Toronto 2014 : TIME OUT OF MIND / Critique

08-09-2014 - 17:51 - Par

Après les excellents THE MESSENGER et RAMPART, Oren Moverman confirme son talent avec TIME OUT OF MIND : une véritable leçon de mise en scène.

THE MESSENGER – ou l’histoire de deux militaires chargés par l’Armée d’annoncer aux familles la mort d’un de leur proche au front – avait marqué par sa dureté et sa justesse émotionnelle, le tout enrobé dans une grande discrétion esthétique. RAMPART – chronique fictive d’un véritable scandale autour de la corruption de policiers à Los Angeles – avait impressionné pour son étude de personnage sans concession et son esthétique heurtée. Il a suffi de deux films – tous deux sortis à la va comme je te pousse en France, l’un en DVD l’autre en salles deux ans après le reste du monde –, pour qu’Oren Moverman s’impose comme un des nouveaux auteurs les plus prometteurs du cinéma indépendant américain. Avec son troisième, TIME OUT OF MIND, Moverman va sans doute encore plus loin dans son affirmation de cinéaste, lui qui a débuté comme scénariste, notamment de I’M NOT THERE. Ici, il suit George (Richard Gere, d’une sobriété remarquable), quinqua n’ayant plus de foyer et en inquiétante voie de clochardisation. De bancs publics en halls d’immeubles, de squats en errances diverses, il finit par échouer dans un foyer pour SDF où il se lie avec Dixon, qui prétend être un ancien jazzman. Avec TIME OUT OF MIND, Oren Moverman ne propose pas une narration conventionnelle. Surtout, il évite de faire de son sujet une quelconque ‘aventure humaine’ dont pourrait raffoler Hollywood. Ni chronique lacrymale ni film ‘utile’ en forme de prise de conscience, TIME OUT OF MIND tente d’offrir au spectateur une expérience sensorielle et viscérale de la vie dans la rue. Pour cela, Moverman échafaude une leçon de mise en scène comme on en voit rarement. Très rarement. Entourant George de bruits urbains assourdissants, de dialogues périphériques n’ayant aucune valeur pour le récit (conversations de téléphones, discussions lambda de passants), Moverman tire peu à peu son protagoniste hors du monde. Comme si l’univers tournait sans lui, sans qu’il ait droit de cité, sans que sa propre voix ne puisse émerger du brouhaha quotidien. Filmé presque constamment derrière des vitres, en reflets, dans des encadrements, au loin dans l’image ou en décadrages savants, George est, scène après scène, exclu du monde réel et perpétuellement ramené à un état de sans-abri qu’il refuse pourtant d’admettre. Tout contact avec les ‘gens normaux’ semble peu à peu de plus en plus difficile, voire impossible, même si George tente de renouer avec sa fille ou d’établir le contact avec une infirmière. Exercice de style passionnant artistiquement et étouffant émotionnellement, TIME OUT OF MIND est une peinture de la solitude extrême, de l’aliénation progressive d’un homme qui pourrait être n’importe lequel d’entre nous. Ne pas croire pour autant qu’Oren Moverman fasse ici preuve de chantage à l’émotion ou de noirceur cynique et excessive. L’humanité et la beauté surgissent parfois soudainement de TIME OUT OF MIND, mais avec le naturel d’une émotion méritée plus qu’imposée ou fabriquée.

D’Oren Moverman. Avec Richard Gere, Jena Malone, Ben Vereen. Etats-Unis. 1h57. Prochainement

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