Toronto 2014 : MANGLEHORN / Critique

10-09-2014 - 09:48 - Par

 

Un portrait d’homme vieillissant qui danse sur trop de tableaux pour emballer, mais qui recèle quelques trésors émotionnels.

Après avoir étudié avec poésie le difficile rapport des trentenaires modernes à leur masculinité dans PRINCE OF TEXAS, puis filmé de manière crasseuse et hard boiled une figure über virile dans JOE, David Gordon Green continue son portrait de l’homme contemporain avec MANGLEHORN. Cette fois, bond dans la chaîne de l’âge, puisque Green s’intéresse à la difficile confrontation entre la vieillesse et les regrets qu’elle engendre via Angelo Manglehorn (Al Pacino), serrurier aigre et misanthrope qui rumine la perte de son grand amour de jeunesse, Clara. À ce fantôme du passé, Angelo écrit des lettres passionnées, mélancoliques, hantées par une tristesse indicible et que le spectateur découvre en voix off. MANGLEHORN se révèle à bien des égards contradictoire dans son mécanisme narratif. Tout chez ce serrurier devrait susciter le rejet, tant sa haine du monde, son refus de se connecter à autrui – personne n’a autant de valeur a ses yeux que Clara – hormis sa petite-fille, sa façon d’entretenir des relations superficielles (notamment avec son agent de caisse a la banque, campée par une émouvante Holly Hunter) dresse un portrait antipathique de sa personnalité. Pourtant, par la grâce de petits détails de mise en scène, par l’interprétation subtile de Pacino, Manglehorn finit par toucher. Sa solitude destructrice, ses ‘conversations’ à cœur ouvert avec son chat – qu’il appelle « chérie » -, son quotidien morne et dépourvu d’un quelconque espoir de futur crèvent même le cœur. « En moi, je n’ai que peine et frustration », dit-il, enragé, lors d’une dispute avec son fils (Chris Messina, parfait comme de coutume). Ce portrait ambigu dans les émotions qu’il suscite s’avère d’autant plus troublant que Green l’enserre dans un écrin esthétique brouillant parfois tout repère temporel, multipliant et superposant les sources sonores et visuelles. Une recherche plastique finalement peu éloignée de celle de JOE qui souligne tout autant les tourments de l’âme d’Angelo qu’elle renforce l’esprit de contradiction du film – une réalisation complexe pour une histoire simple. Si bien qu’à force de brouiller les pistes et stimuli, de nous faire détester puis aimer son personnage, David Gordon Green perd le fil. Une fracture dans le récit se fait soudainement jour, le parcours de Manglehorn prend un tournant décisif. Sauf que ce bouleversement semble justement trop soudain, amené sans grande justification narrative et psychologique. Un peu comme si Green, las d’étouffer dans le monde sclérosé et abimé de Manglehorn, avait voulu remonter illico a la surface pour prendre une longue respiration salvatrice. Certes, une certaine magie naît à l’écran de la subite prise de conscience d’Angelo. On aurait juste aimé qu’elle soit un tant soit peu justifiée.

De David Gordon Green. Avec Al Pacino, Holly Hunter, Chris Messina. États-Unis. 1h37. Sortie le 25 mars 2015

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