THE TRIBE : chronique

01-10-2014 - 11:13 - Par

Objet choc extrêmement stylisé, THE TRIBE joue la carte du film de festival sans concession. Réactions épidermiques à prévoir !

Difficile de faire moins glamour et attrayant que ce premier long-métrage entièrement tourné en langage des signes non sous-titré. Pas de dialogue, juste une pantomime dont le sens nous échappe toujours. THE TRIBE joue la carte du radical sans jamais se défaire une seule fois de la raideur de ses ambitions. Dans de longs plans-séquences, souvent fixes, le spectateur se trouve être le témoin de la descente aux enfers d’un jeune homme, aux prises avec une mafia d’adolescents qui sévit dans son pensionnat. Devant ce récit d’apprentissage extrêmement brutal, on pense à l’univers de Dickens. THE TRIBE est un conte terrible qui nous projette dans un monde dominé par le corps. Le fait que tous les acteurs soient sourds et muets n’est pas un gimmick mais plutôt un moyen par lequel le réalisateur réussit à traduire de manière hautement originale et puissante la violence du film noir. Devant ces plans, précis et travaillés, comme ouverts sur une menace invisible, surgit le fantôme du cinéma d’Haneke. Le film crée un conflit passionnant entre la dimension tragique et inexorable de son récit et la lourdeur des corps à l’écran. Rythmé par des sons étouffés, des plus troublants, le film se paie le luxe de devenir sonore. On est happé par cette nouvelle manière de mettre en scène le corps, non plus comme une entité vide remplie par la voix, mais bien comme une somme de sons. Claquement de main, frôlement des doigts, bruissement des jambes, le film exacerbe la sensualité. Mais il n’y a rien de séducteur dans THE TRIBE, puisque tout est ramené à la pesanteur. Dans une incroyable scène de sexe, le réalisateur Myroslav Slaboshpytskiy filme l’acte comme un assemblage mécanique. Le fatalisme du film, qui vire parfois au grand guignol façon auteur –notamment dans une séquence d’avortement insoutenable–, se retourne parfois contre lui-même. À ce degré-là de radicalité, on frôle le nihilisme. Pourtant, on ressort de ce film épuisant avec un étrange sentiment de plénitude esthétique. Stupéfiant, ce premier long ukrainien réussit le tour de force d’être à la fois sophistiqué et primitif. Rien ne vient le sauver de sa noirceur et c’est peut-être ce jusqu’au-boutisme-là, cette manière d’être campé ainsi sur ses partis pris forts sans jamais en dévier, qui rend THE TRIBE plus attachant qu’un simple film-provoc. On parlera de choc ou d’imposture pour décrire cet ovni à même de déchaîner les passions. Mais son plus grand intérêt, c’est peut-être justement de réussir à rendre les mots caducs. Seule l’expérience du corps finit par compter, aussi peu agréable soit-elle.

De Myroslav Slaboshpytskiy. Avec Grigoriy Fesenko, Yana Novikova, Rosa Babiy. Ukraine. 2h10. Sortie le 1er octobre

 

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