’71 : chronique

05-11-2014 - 10:11 - Par

Mise en scène nerveuse et réfléchie, scénario dense et subtil, interprétations énergiques et intenses : Yann Demange impressionne avec un premier long-métrage d’une maîtrise ahurissante.

Jeune recrue de l’armée de sa Majesté, Gary Hook (Jack O’Connell), à peine une vingtaine d’années, apprend que son bataillon va rejoindre Belfast afin d’y assurer une paix civile mise à mal par le conflit politique et religieux opposant les Anglais aux Nord-Irlandais. Lors d’une mission en apparence banale, l’escouade de Gary doit faire face à une émeute et le jeune homme se retrouve seul, abandonné dans les rues de Belfast et traqué par des membres de l’IRA… Pour son premier long-métrage –après une carrière florissante à la télé anglaise, voir p.84–, Yann Demange ne s’est pas facilité la tâche. Non seulement il doit répondre aux contraintes logistiques et artistiques d’un film d’époque (le début des 70’s) nécessitant une reconstitution minutieuse, mais il aborde en plus un sujet historico-politique épineux ayant maintes fois inspiré le cinéma et engendré des films majeurs – de AU NOM DU PÈRE à BLOODY SUNDAY en passant par OMAGH, HUNGER ou THE CRYING GAME – : le conflit anglo- irlandais. La réussite de son ’71 n’en est ainsi que plus saisissante. Usant du classique (mais toujours efficace) prisme du protagoniste ordinaire jeté dans une situation extraordinaire, le script de Gregory Burke établit en quelques scènes une tension accablante en suivant le bataillon de Gary à l’entraînement, puis à son arrivée à Belfast. « Vous n’êtes là que le temps qu’un Paddy (terme péjoratif d’argot désignant un Irlandais, ndlr) vous tue », leur lance un supérieur. Pourtant, lors de leur première sortie, ces jeunes soldats visiblement dénués de toute idéologie belliciste s’amusent d’être la cible de gamins énervés leur jetant des… bombes à pisse. Le danger va rapidement se faire bien plus prégnant et, à la faveur d’une incroyable scène de perquisition débouchant sur une émeute, ‘71 de virer dans le chaos et l’horreur. Faisant appel à une esthétique renvoyant aussi bien au style documentariste d’un jeune Paul Greengrass qu’à la vigueur stylisée d’une Kathryn Bigelow, Yann Demange fait de ’71 un thriller de l’humain, où le spectateur assiste, médusé et impuissant, à un déferlement de violence et de haine dont chaque camp est tout autant l’initiateur que la victime. La virulence autoritaire des forces anglaises, la frustration impétueuse des membres de l’IRA, la triste impuissance des habitants de Belfast écrasés entre ces deux blocs : Demange n’élude rien. Il filme le conflit avec une énergie du désespoir exaltante mais suffocante, fascinante mais effrayante. La violence surgit soudainement, nourrissant l’instinct de survie de Gary d’un côté et la soif de liberté des Irlandais de l’autre. Surtout, sans grand discours, elle explique cette peur latente qui suinte de chaque plan, de chaque regard d’une population désenchantée. Ici, le seul moment de paix ou de fraternité ne peut plus se faire que dans la froideur de la mort. Dépourvu de toute prise de position sentencieuse, ’71 n’en est pourtant pas moins offensif et enragé : plus consacré à l’humain qu’à la politique, il s’évertue à observer sans moralisation « ces cons de la haute qui ordonnent à des cons bêlants d’aller tuer d’autres cons » et, ce faisant, évite tout dérapage vers ce ton lénifiant qui plombe nombre de films utiles ou ces propos pontifiants sirupeux qui traversent beaucoup d’œuvres engagées. Portée par la solidité de sa mise en scène, par la justesse émotionnelle de son scénario, par la prestation physique mais fragile du décidément remarquable Jack O’Connell – mais aussi par celle, ambiguë, de Sean Harris –, ’71 affiche une maîtrise plus que rare pour un premier long-métrage qui s’impose immédiatement comme l’un des films les plus marquants de l’année.

De Yann Demange. Avec Jack O’Connell, Sean Harris, Sam Reid. Royaume-Uni. 1h39. Sortie le 5 novembre

 

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