A MOST VIOLENT YEAR : chronique

31-12-2014 - 11:26 - Par

En se réappropriant l’univers des gangsters, J.C. Chandor crée un film ultime sur les liens vicieux entre capitalisme et criminalité. Et dissèque le rêve américain avec une précision chirurgicale.

Abel Morales (Oscar Isaac), homme d’origine sud-américaine installé sur la côte Est des États- Unis et marié à une Américaine (Jessica Chastain), veut devenir un acteur déterminant dans le commerce du pétrole. Il a même trouvé la raffinerie et les hangars parfaits pour asseoir son statut. Alors que la banque est prête à le suivre, ses camions- citernes sont l’objet d’attaques à main armée et son or noir est régulièrement braqué. Puis, c’est le procureur (David Oyelowo) qui ouvre une enquête sur les malversations présumées de son entreprise. Nous sommes l’année où New York connaît un pic de criminalité, mais Abel refuse de céder à la panique et préfère chercher l’identité de celui qui lui en veut. Fini le poncif de l’immigré venu réclamer sa part du gâteau par la force. A MOST VIOLENT YEAR préfère déconstruire les clichés du film de gangsters. En situant son histoire sur les docks new-yorkais, décor typique où l’on jette généralement les cadavres dans l’Hudson, J.C. Chandor nous installe confortablement en terrain connu, là où s’entrechoquent des communautés juives, des barbiers qui passent leurs rasoirs sur les joues flasques d’hommes en costumes, d’honnêtes travailleurs qui, allant au bureau, forment des embouteillages anxiogènes pour quiconque transporte des valeurs. De belles voitures, des manteaux de fourrure, des maisons d’architecte… Le royaume de la mafia et, au milieu, un homme qui, du haut de son intégrité, collabore avec les syndicats et la justice, ne tremble jamais devant le crime qui s’organise. Au contraire, être un criminel, c’est être un lâche, argue-t-il. Il pense qu’on peut faire, dans cette grande Amérique libérale, du business propre. Mais Abel apprendra à ses dépens que la corruption morale est partout. J.C. Chandor promène son personnage honnête dans une série de scènes caractéristiques du cinéma de gangsters, et construit son film autour du cliché du genre. La tension dévorante fonctionne notamment grâce à la dimension quasi méta de A MOST VIOLENT YEAR et à ce que, nous spectateurs rompus au genre, attendons de lui. Abel, campé dans ses valeurs, ira au bout de lui-même pour contourner chaque passage obligé, refusant d’être un stéréotype de cinéma. J.C. Chandor élabore A MOST VIOLENT YEAR autour de l’idée simple que la violence est un état de fait imposé par l’ultralibéralisme. Il est dit que 1981 est la pire année concernant la criminalité new-yorkaise. Une donnée jamais remise en question, vécue comme une chape de plomb sous laquelle tout le monde, péquin moyen ou gros bonnet, doit alors se débattre. C’est ensuite qu’il détricotera l’interdépendance entre le capitalisme et la criminalité. Avec une histoire toute bête de camion-citerne qui se fait braquer. Le miracle de cinéma qu’est A MOST VIOLENT YEAR tient au fait qu’il parle du libéralisme meurtrier sans jamais verser dans le sanglant – au contraire, on se braque en craignant blesser quelqu’un. Juste en préférant dérouler le destin d’un homme qui, comme d’autres, désire vivre son rêve américain. « Pourquoi veux-tu tout ça ? », lui demande son épouse, accablée par l’ampleur de la tâche. Et Abel de lui répondre, sans jamais mesurer quels sacrifices son ambition requiert : « Je n’ai aucune idée de ce que tu veux dire. » Le grand atout de A MOST VIOLENT YEAR, c’est ce scénario sophistiqué, où chaque dialogue a un impact immédiat puis un sens à retardement, où aucun acte n’est anodin, où l’on glisse lentement mais inexorablement vers le chaos. Une histoire simple, comme l’étaient celles de MARGIN CALL et ALL IS LOST – les deux premiers films de Chandor –, mais un traitement si travaillé dans son apparent classicisme que A MOST VIOLENT YEAR confine à la perfection.

De J.C. Chandor. Avec Oscar Isaac, Jessica Chastain, David Oyelowo. États-Unis. 1h50. Sortie le 31 décembre

 

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