Dossier FOXCATCHER : Interview Mark Ruffalo

27-01-2015 - 15:13 - Par

Dans FOXCATCHER, il est Dave Schultz, frère de Mark (Channing Tatum), brillant combattant et ennemi juré des délires de John Du Pont. Mark Ruffalo nous parle de la construction physique et du lien charnel à l’autre qu’exige la lutte.

Cette interview a été préalablement publiée dans le magazine Cinemateaser n°40 daté décembre 2014 / janvier 2015 

Vous avez pratiqué la lutte au lycée. Est-ce que les instincts ou du moins les réflexes sont revenus naturellement lors du tournage de FOXCATCHER ?
Pas aussi vite que je l’aurais voulu, non. Et malheureusement, tout ce que j’ai appris au lycée était devenu un peu obsolète. En plus, Dave Schultz luttait comme un gaucher, alors que moi, je suis droitier ; il a donc fallu que je réapprenne des prises, et ce fut très difficile. De plus, je l’incarne à l’âge de 33 ans, il était au plus haut de sa puissance à bien des titres. Moi, j’atteins les 46 ans… Mais j’avais pris du muscle, je me suis beaucoup entraîné pour acquérir son propre style de lutte – j’ai regardé des centaines d’heures de vidéo pour l’observer et comprendre sa manière de faire. Des vidéos où il luttait, mais aussi où il parlait simplement, où il jouait.

Dave avait un langage corporel très spécial, massif…
Il m’a captivé dans sa manière de marcher, de parler, de bouger. J’ai tout emprunté, au point où je me disais que c’était trop. Mais en fait, on peut toujours aller plus loin.

Des lutteurs professionnels vous ont adoubé, vous et Channing Tatum, pour le film. Pourquoi était-ce si important d’avoir leur aval ?
La communauté de lutteurs est très soudée. Et Dave Schultz leur était très cher. Quand ils ont entendu que Hollywood voulait tirer un film de l’histoire des Schultz, avec toutes ses sombres intrigues, ils étaient anxieux. Ils ne voulaient pas s’impliquer tant que ça dans le processus, mais je me souviens qu’on faisait passer des essais pour trouver les lutteurs figurants et toute l’équipe nationale s’est pointée. Ils se tenaient là, ils observaient. Bennett (Miller, ndlr) m’a regardé et il m’a dit : ‘Va mettre ta tenue, je veux que tu luttes’. Le mec qui avait coaché Dave pour les Jeux Olympiques était là. Bennett me présente. ‘C’est lui qui va jouer Dave.’ ‘Lui ? Dave ?’ Et j’ai combattu, face à lui. J’ai eu son approbation. Puis après, il y a eu des coups de fil. Ils voulaient savoir quelle était l’ambition du film. Mais une fois qu’ils ont rencontré Bennett, qu’ils ont compris ce qu’on voulait faire et quelle histoire nous voulions raconter, ils se sont sentis plus à l’aise avec le projet.

Le sport est un prisme parfait pour parler de la domination de l’argent. Et même de l’abus psychologique qu’il provoque…
Le sport est de manière plus générale un sujet parfait pour aborder de grands thèmes et de grandes idées. On y parle d’ambition, d’envie, de pouvoir. Car il permet de traiter de personnages parfois individualistes, très déterminés. C’est facile de quantifier leur talent ; ce sont des super- héros de la vraie vie. C’est un terreau fertile, c’est certain. C’est au cinéma ce que la guerre est aux histoires grecques. En creux, FOXCATCHER parle aussi de politique. Comment ces types, qui ont un background social très marqué, peuvent s’incliner face à un type bien moins talentueux, bien plus faible, qu’eux. Au point de pervertir de vraies valeurs.

FOXCATCHER détruit un autre mythe américain visant à dire qu’on est ce qu’on dit être…
On l’est jusqu’à un certain point. Dave rappelle John (du Pont, ndlr) à la réalité. Le fantasme que crée John se confronte toujours à Dave. Ce qui le rend dingue et le force à choisir entre anéantir le fantasme ou anéantir le réel.

Comment avez-vous travaillé l’intimité avec Channing ? Car Dave et Mark communiquent à travers leurs corps.
Les lutteurs sont très physiques et très intimes entre eux. Jesse Jantzen et son frère Corey Jantzen, qui sont des lutteurs américains professionnels, étaient nos coachs. Je les ai beaucoup observés et ils sont tendres lorsqu’ils s’enroulent l’un contre l’autre, ils sont dans le contact… Quand vous faites ça constamment avec quelqu’un, vous créez un lien si profond qu’il relève d’une communication primitive, qu’il transcende toute communication verbale. J’ai pris ça d’eux. Pourtant, c’est l’échauffement classique de la lutte. À l’intérieur de cette promiscuité physique, ce ne sont que deux mecs qui luttent. Channing et moi avons travaillé des mois ensemble, on se blessait ensemble, on luttait l’un contre l’autre. On ressortait de ça amochés ou émus. Et je me sens proche de lui comme on peut l’être de son frère.

Le cœur de votre filmographie réside dans un cinéma de personnages. Avec AVENGERS, vous touchez à un cinéma plus commercial. Il est là, le secret de la longévité d’un acteur ?
Je ne sais pas. Le secret de la longévité d’un acteur, c’est être en avance sur la perception que les gens ont de vous. Moi, ça me gêne quand les gens me disent que je ne fais que du cinéma indépendant. Tout n’est pas conscient : souvent, la carrière va au hasard. Le seul pouvoir que vous avez, c’est de choisir à quels projets vous dites oui. Quand les choses se présentent, vous devez vous tourner vers votre sentiment : est-ce que ça me rend nerveux ? Est-ce que c’est inédit ? Au final, un film doit être fait pour être vu. Au-delà de la qualité de blockbuster d’un film, vous devez vous interroger sur l’intérêt d’un rôle. Personnellement, j’aime essayer des choses nouvelles. La seule limite que j’ai, c’est mon imagination.

Mais votre incursion dans le blockbuster a changé votre image, vous pensez ?
C’est drôle car une partie de la population ne savait même pas qui j’étais avant Hulk. Et pour eux, je serai Hulk à jamais. Est-ce que je dois à Hulk quelque chose ? Pas plus qu’à d’autres rôles. Je ne veux pas être son esclave, je veux juste m’amuser avec sa signification dans la pop culture. Notamment via les réseaux sociaux. Je sens bien que certains ont un jugement négatif sur mon choix. Mais c’est leur perception qui est erronée : je suis acteur, c’est mon boulot. Et je continuerai à surprendre.

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