JUPITER – LE DESTIN DE L’UNIVERS : chronique

01-02-2015 - 00:05 - Par

Du grand spectacle, de l’amour, du conte de fées et du (délectable) mauvais goût : les Wachowski continuent d’être d’indispensables génies.

« Née sans pays, sans maison et sans père », Jupiter (Mila Kunis), européenne de l’Est immigrée aux États-Unis, subsiste en faisant des ménages. Jusqu’à ce que sa vie soit sauvée par Caine (Channing Tatum), guerrier de l’espace. Il lui apprend que les héritiers d’une ancienne lignée de l’espace, les Abrasax, souhaitent la voir disparaître : réincarnation d’une Reine, Jupiter pourrait être propriétaire de la Terre et éviter aux Humains d’être un jour « récoltés »… En répondant à la demande de l’ancien patron de la production de Warner, Jeff Robinov, de lancer une nouvelle potentielle franchise, Lana et Andy Wachowski n’ont pas succombé aux sirènes de la facilité et accouchent avec JUPITER – LE DESTIN DE L’UNIVERS d’une œuvre aussi anachronique que moderne, étrange et généreuse, intime et tonitruante. Narrativement, JUPITER affiche suffisamment d’enjeux dramatiques et de pistes émotionnelles pour remplir une trilogie. Les Wachowski, eux, déroulent tous ces fils sur deux heures, avec une facilité déconcertante et un art du storytelling désarmant de grâce. C’est que JUPITER porte l’empreinte de ses auteurs jusque dans la moindre de ses cellules. Empruntant autant au conte de fées (« Cendrillon », « Le Magicien d’Oz » et « La Belle et la Bête », notamment) qu’il ne le déconstruit sarcastiquement (« Les hommes n’aiment pas les femmes intelligentes », dit le beau-père de l’héroïne), JUPITER propose de sauter pieds joints dans le terrier du Lapin blanc et s’affiche ainsi en quasi remake de MATRIX – l’Élu(e), la romance salvatrice, des ‘méchants’ cultivant l’homme pour vivre, la réincarnation, le rapport du spectateur à ce qu’il voit et à la réalité de son monde etc. Mais JUPITER se distingue toutefois grandement des blockbusters actuels par son refus de la contemporanéité. Le film se sait hors des tendances, hors de son époque et en refuse nombre de tropismes – le cynisme notamment. Comme de coutume, Andy et Lana Wachowski célèbrent l’imagination, l’émerveillement, le sentimentalisme, l’amour simple et vrai. Et ce faisant, ils continuent aussi de cultiver avec brio cette fascination décomplexée pour le mauvais goût – la théâtralité outrancière du vilain campé par Eddie Redmayne et son gros Œdipe, le foisonnement d’influences faisant se croiser méchas, lézards géants adeptes du kung-fu et guerrier mi-chien / mi-homme. Qui d’autre est capable d’autant de folie, contenue avec autant de maîtrise mais offerte avec autant de générosité ? Qui d’autre peut faire croire à une romance d’opérette comme outil de salut du monde et émouvoir avec des sentiments aussi naïfs ? Qui d’autre est capable d’user avec autant de brio de l’abstraction pour pousser le spectateur à vivre et ressentir une poursuite entre les buildings de Chicago ? Qui d’autre rend les environnements CGI aussi charnels, aussi organiques ? Si SPEED RACER était un fantastique « film pour enfants », JUPITER – LE DESTIN DE L’UNIVERS est un « spectacle pour adolescents », une bluette dans l’espace qui, par sa sincère candeur et son ahurissante maestria visuelle, condense tout ce que le cinéma de blockbuster a été ces 35 dernières années, offrant ainsi une sorte de précipité, un commentaire passionnant sur l’évolution – parfois branque – du divertissement hollywoodien. Mais JUPITER regarde également le futur droit dans les yeux. « Votre vie va changer, si vous le voulez », entend-on dans le film. Depuis CLOUD ATLAS, le cinéma des Wachowski est de plus en plus celui de Lana, un cinéma qui observe et célèbre qui elle est, qui vibre de sa transidentité. À ce titre et encore plus que son prédécesseur, JUPITER exalte la différence, hisse l’étendard du métissage et s’affirme en grand film sur l’hybridation des êtres, des espèces, des styles, des genres. La frontière entre masculin et féminin y est souvent troublée, subtilement et joyeusement floutée. Ici n’existe aucune limite, aucune norme. Ne règne que l’amour, encore et toujours – le grand thème des Wachowski depuis leurs débuts. Un film aussi libre ne peut être qu’indispensable.

De Lana et Andy Wachowski. Avec Mila Kunis, Channing Tatum, Eddie Redmayne. États-Unis. 2h05. Sortie le 4 février

 

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