LOIN DE LA FOULE DÉCHAÎNÉE : chronique

03-06-2015 - 12:40 - Par

Thomas Vinterberg dynamite la raison et les sentiments avec cette adaptation splendide d’un mélo victorien.

Il faudrait être expert en acrobatie intellectuelle option « mauvaise foi » pour trouver parfaitement logique et attendu que le cinéaste de FESTEN, LA CHASSE et SUBMARINO s’attèle à l’adaptation de l’un des romans phares du romantisme anglais du XIXe. Avec LOIN DE LA FOULE DÉCHAÎNÉE, Vinterberg se déterritorialise et se confronte à l’écriture enfiévrée et minutieuse de Thomas Hardy. Il y a chez Hardy un sens des passions, une fougue des paysages, une implacable folie romanesque qui vont à l’encontre du style amer et rigide du réalisateur. Il n’aime du mélodrame que la torture intérieure des personnages. Problème: avec Thomas Hardy, il va falloir mettre les formes. Et sur ce point-ci, Vinterberg surprend et épate. LOIN DE LA FOULE DÉCHAÎNÉE est un mélodrame comme on en voit peu. La science du cadrage du réalisateur, sa précision et sa rigueur lui servent à orchestrer des séquences plastiquement superbes. Qu’elle circule entre les arbres ou qu’elle dévale les vallons de la lande anglaise, la caméra capte au plus près les amours contrariés de Bathsheba Everdeene, jeune fermière déterminée, promue soudain maîtresse de maison. Mais c’est ce personnage inflexible et implacable qui séduit le plus Vinterberg. Héroïne forte, elle mène le monde et les hommes à la baguette de son cœur. Hélas il pourrait bien vite flancher. Mais à la splendeur des paysages et des costumes, le cinéaste oppose la restriction des émotions. Sur le visage de Carey Mulligan, à la fois juvénile et déjà vieillissant, il observe le combat entre la raison et les sentiments. Fasciné par le feu sous la glace, il corsète le mélodrame et l’assèche pour mieux donner à voir l’étouffement progressif de son personnage principal. Comme suffoquée par l’amour qui la ronge, elle se fane alors devant nous. Il y a du Bergman dans cette façon d’attraper les sentiments par la raison et de naviguer ainsi en permanence entre la splendeur du réel et la noirceur des symboles. Romantisme, conflit de classe et de genre, la raideur de Vinterberg fait apparaître les arêtes du roman d’Hardy. Mais ce ballet magistral que mène une femme singulière au milieu des figures masculines (Matthias Schoenaerts en tête) a surtout la grâce et la beauté complexe des histoires d’amours contrariées. Si le film perd peut-être en émotion immédiate, il tisse lentement une étrange sensation de plénitude mélancolique, comme une forme d’abandon à la tristesse. À l’image du MELANCHOLIA de Von Trier, entre ascèse et grandiose, il y a chez ces danois cinéastes un sens singulier de la catastrophe intime absolument sidérant.

De Thomas Vinterberg. Avec Carey Mulligan, Matthias Schoenaerts, Juno Temple. Grande-Bretagne. 1h59. Sortie le 3 juin

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.