EX_MACHINA : chronique

03-06-2015 - 12:44 - Par

Le scénariste prodige Alex Garland passe à la mise en scène pour un film d’anticipation pertinent, atypique, et même féministe, sur l’intelligence artificielle. À voir absolument.

EX_MACHINA est un huis clos se jouant derrière les grandes baies vitrées d’une maison écolo, perdue dans la nature et appartenant au patron d’une grande boîte spécialiste du Web, qui y vit reclus. Ce n’est pas vraiment Google, mais ça pourrait. Caleb, un jeune informaticien qui y travaille (Domhnall Gleeson), gagne, grâce à un concours organisé en interne, le droit de passer du temps dans l’antre du charismatique boss, Nathan (Oscar Isaac). Ce dernier fait, en solo et en secret, des études poussées sur l’intelligence artificielle. Et il a besoin de Caleb pour les parfaire : il lui présente le robot humanoïde Ava (Alicia Vikander). Est-elle capable de penser par elle-même ? Est-elle capable de ressentir au-delà de son esprit logique et informatique ? C’est à Caleb de le découvrir, sur la base de plusieurs tête-à-tête. Au fil des jours, les motivations de Nathan se font de plus en plus ambivalentes. Il y a même quelque chose de brisé entre le mogul et son employé, quand il lui explique qu’il peut la pénétrer. Entre les cuisses, elle est équipée de tout l’attirail pour faire plaisir aux hommes… Elle est touchante quand elle veut s’habiller pour être plus jolie. Elle, presque naïve, si innocente, vierge, incarnée par le seul visage pur et sublime de l’actrice suédoise, est-elle la proie de Nathan? Caleb se transforme en chevalier blanc dans ce conte de fées pervers et technologique, où les cachots sont sécurisés par carte d’accès inviolable. Cette fable sur l’intelligence émotionnelle, froide et raide jusque dans son érotisme, en dit moins long sur le champ des possibles technologiques que sur notre manière de l’appréhender. Les grands visionnaires sont-ils les Hommes qui se méfient de l’autonomie et de l’indépendance de toute forme de pensée (non humaine) ? Ou au contraire, seraient- ils ceux capables de créer une forme d’intelligence supérieure à l’intelligence humaine pour perpétuer la pensée et la rendre encore plus avancée ? Dès les premiers pas de Caleb dans le royaume de Nathan, Alex Garland instaure une ambiance mortifère. Un peu comme l’histoire de « La Plage », son premier roman, celle d’EX_MACHINA finit par défigurer l’idéalisme dans un rictus macabre. Il y a une scène en tout point formidable dans le film: alors que Caleb et l’infatué Nathan commencent doucement à se détester, le patron tout-puissant entame une danse disco dans une salle sans fenêtre et sous une lumière rouge sang. C’est dans cet étourdissement nonsensique, grâce à une incantation sûrement maintes fois répétée, qu’il invoque l’apocalypse qu’il a mise en œuvre. La prestation ambiguë d’Oscar Isaac soulève une grande question quant aux motivations de son personnage : lorsque Nathan donne le corps et la voix d’une femme désirable à son intelligence artificielle, la misogynie dont il fait preuve est-elle une preuve de bêtise crasse ou au contraire une incitation à la révolte robotique ? EX_MACHINA est un film passionnant, soulevant bien plus de questions et de pistes de réflexion qu’il n’entend donner de réponses. Mais sa manière dépassionnée de les soulever est hypnotique et inconfortable. On sort du film éreinté, horrifié, par ce qui ressemble de près à une fable K.Dickienne nouvelle génération.

D’Alex Garland. Avec Oscar Isaac, Domhnall Gleeson, Alicia Vikander. Grande-Bretagne. 1h48. Sortie le 3 juin

 

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