VICE-VERSA : chronique

17-06-2015 - 15:42 - Par

On n’avait pas vu Pixar dans une forme aussi éclatante depuis bien longtemps : merci Pete Docter qui, après MONSTRES ET CIE puis LÀ-HAUT, signe un nouveau chef-d’œuvre poignant sur l’enfance et le temps qui passe.

Par le passé, Pixar n’a jamais eu peur des défis – donner vie aux jouets, débuter un film par une demi-heure muette etc. Et parmi ses réalisateurs, Pete Docter est peut-être le plus téméraire de tous, le plus enclin à proposer des expériences de cinéma déstabilisantes car vouées à confronter le spectateur à des émotions dévastatrices. Après avoir réinventé le duel entre l’enfant et la bestiole du placard dans MONSTRES ET CIE, puis après avoir fait un héros d’un p’tit vieux acariâtre qui reprenait goût à la vie au contact d’un jeune scout dans LÀ-HAUT, Docter continue d’explorer l’enfance dans ce qu’elle a de plus cruel et déchirant, de plus libre et exaltant. Dans VICE-VERSA, il entre dans la tête d’une petite fille, Riley, 11 ans, dont le déménagement loin de son Minnesota natal va bouleverser le quotidien et les sentiments. Dans son cerveau, ses émotions – Joie, Tristesse, Dégoût, Colère et Peur – tentent de la guider dans cette épreuve. Mais quand Tristesse semble contaminer tous les souvenirs, elle est entraînée contre son gré dans une folle aventure avec Joie dans les tréfonds de l’esprit de Riley. Compliqué, VICE-VERSA ? À résumer et expliciter, sans aucun doute. Mais sur l’écran, l’exposition du concept s’avère déconcertante de fluidité, toutes les pièces nécessaires à la narration du film se mettent en place dans un élan communicatif et un dynamisme de chaque seconde. Car on retrouve ici ce qui a fait pendant longtemps le fort de Pixar : les idées. VICE-VERSA en regorge, qu’elles soient narratives, visuelles ou émotionnelles. Certaines, comme celles animant la scène du Hangar des Pensées Abstraites – une des plus folles du film –, surmontent même leur complexité conceptuelle par le simple fait d’être écrites, mises en scène et jouées sans retenue : VICE-VERSA est riche de sa folie créatrice. Riche de sa liberté, aussi, qui flirte avec le psychédélisme, l’étrange et le grotesque – voire le cauchemardesque. Son brillant concept n’est même rien comparé à la densité de son propos et au foisonnement des sentiments qu’il aborde. Peut-on frontalement parler de suicide, de fugue et de mort dans un film que des millions d’enfants verront ? Peut-on vraiment suggérer que les gamins traversent leurs jeunes années en dansant perpétuellement sur une ligne dépressive ? Oui, clame Pete Docter, qui avance tête baissée, ose créer la comédie avec la Tristesse, confronter le public adulte à ses douloureuses madeleines, à ses souvenirs enfouis, bâtir des scènes comme autant de crève-cœur bouleversants suscitant de véritables torrents de larmes. VICE- VERSA invite le spectateur à un mélodrame intérieur et extérieur, subjectif et objectif, se jouant tout autant dans une tête que dans le salon feutré d’une famille en crise. En montrant les Hommes comme des créatures littéralement gouvernées par leurs émotions, Pete Docter fait plus que réunir intellect et sentiment. Il les assimile l’un à l’autre. Pas la moindre des grandes idées du film, d’ailleurs. Cette manière qu’il a de faire se tutoyer cortex et palpitant, noirceur et splendeur, concret et abstrait, souvent dans le même plan, par la grâce d’une réalisation aérienne, d’un character design malin et d’une musique splendide, relève purement et simplement du génie. Ou, tout du moins, de l’état de grâce. Au bout du compte, en faisant de l’enfance le décor du temps qui efface tout, Pete Docter signe une superbe et courageuse observation du travail de deuil. Ce qui ne fait pas de VICE-VERSA un grand Pixar ou une grande animation. Mais un grand film tout court.

De Pete Docter. Avec les voix originales de Amy Poehler, Bill Hader, Mindy Kaling. États-Unis. 1h42. Sortie le 17 juin

 

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