Séries : RAY DONOVAN, la virilité selon Ann Biderman

16-07-2015 - 11:03 - Par

Séries : RAY DONOVAN, la virilité selon Ann Biderman

À l’occasion du début de la diffusion de la troisième saison, retour sur les deux premières années de cette brillante série trop méconnue.

Cet article a été préalablement publié dans le magazine Cinemateaser n°39 daté novembre 2014

Le mâle alpha, la virilité contrariée, le sexe brutal… RAY DONOVAN, série masculine et violente, a été pendant deux saisons tenue d’une main de fer par une femme : Ann Biderman, la plus fascinante des scénaristes productrices de l’industrie américaine d’aujourd’hui.

Ray-Donovan-PicElle a écrit le PUBLIC ENEMIES de Michael Mann, créé et accompagné la série policière SOUTHLAND et fait de même avec RAY DONOVAN. Businesswoman créative, Ann Biderman dessine des héros dont les névroses, intenses et brûlantes, sont dissimulées derrière une épaisse carapace d’animal. Qu’ils soient flics ou voyous, ses hommes sont déterminés, entêtés, violents, alcoolisés et parfois, comme un paradoxe pervers, ont un rapport aux femmes très innocemment misogyne. Ce goût pour le macho, elle ignore d’où ça vient. « Je ne sais pas si cela confère à un besoin de protection ou à la création d’une version idéalisée de l’homme. D’une version archétypale que je désirerais. Les hommes minces, anorexiques, ne m’attirent pas. Je ne dirai rien de ma vie personnelle ou de ma sexualité, mais la métrosexualité ne me fascine en rien. » Pourtant, les mâââles, elle les imagine multiples : dans SOUTHLAND, John Cooper (incarné par Michael Cudlitz) était un homosexuel dans le placard, pétri d’autorité lorsqu’il battait le pavé, l’inspecteur Sammy Bryant (Shawn Hatosy) sortait humilié d’une union où la mère de son fils multipliait les actes de diffamation à son égard, l’agent Ben Sherman (Ben McKenzie) affectionnait les coups d’un soir pour masquer une solitude dévorante. Au milieu, trônait l’inspecteur Lydia Adams (Regina King), devenue mère célibataire après avoir vécu l’amour fou avec un homme marié. Souvent, chez Biderman, si les personnages semblent être définis par leur sexualité, ils le sont moins que par l’amour qu’ils volent au jour le jour ou celui qu’on leur refuse. Aussi destructeur soit-il.

En découle un lien tordu à la domination et au contrôle chez les héros virils d’Ann Biderman. Ses univers sont viscéralement agressifs, régis par des rapports de force qui seraient aussi des exutoires à des frustrations amoureuses ou sexuelles. RAY DONOVAN se déroule en Californie, là où l’argent gouverne les relations humaines. Ray (puissant Liev Schreiber) règle les problèmes de gens riches, hommes d’affaires, starlettes de cinéma ou du hip-hop, par la diplomatie, le chantage ou la force. Il sait qui sont les bons et les méchants et surtout, comment s’y prendre avec eux et leurs sales affaires. Plane au-dessus de lui un passé crapuleux à Boston, le fief des Donovan : une sœur suicidée, une petite amie décédée, un père en prison, une mère malade, des connexions mafieuses… Ses frères, Bunchy (Dash Mihok) et Terry (Eddie Marsan), s’occupent aujourd’hui d’une petite salle de boxe à Los Angeles. Mais alors que le paternel, Mickey (Jon Voight), retrouve la liberté et décide de renouer avec ses fils, Ray veut le tenir éloigné de sa femme et de ses deux enfants. C’est pourtant toute la vie antérieure des Donovan qui implose. Sa présence réveille même l’événement matriciel des frangins : Bunchy a été violé par un prêtre lorsqu’il était gosse. Encore fragilisé, Ray, lui, s’est conditionné à tourner le monde (et le gros paquet d’emmerdes qu’il a à offrir) à son avantage. De prime abord, c’est un justicier sans idéal, qui baise sa femme deux fois par jour (avec ou sans son accord), la trompe comme un réflexe et tabasse ce qu’il peut de la gent masculine. Mais la quête de Ray, c’est celle d’un paumé qui cherche à être à la hauteur, d’une part, de la société patriarcale dans laquelle il a grandi et, de l’autre, de sa propre haine de l’homme.

RD-Exergue« Ce qui m’intéressait, dit Ann Biderman, ce n’est pas tant [ce que fait Ray à Hollywood], parce que ça aurait pu vite devenir un procedural, avec une affaire par épisode, et je ne voulais pas faire ça. Je ne voulais pas faire une satire de Los Angeles, ni ENTOURAGE. Mon intérêt a réellement été piqué lorsque j’ai pu mélanger deux idées : [les occupations professionnelles de Ray] et le drame familial. Je voulais raconter l’histoire de ces frères, de cette vie, et emprunter le point de vue d’une famille criminelle de South Boston qui atterrit à L.A. Je savais ensuite ce que je pouvais faire, quels sujets je pouvais traiter, en terme de classe sociale, de crime, de pouvoir et d’abus sexuels commis par l’Église. » Ray Donovan, c’est l’agent de liaison entre deux milieux : la culture prolétaire et l’opulence d’Hollywood. Deux mondes qui se rejoignent dans leur obsession pour la puissance et dans la prise de pouvoir par la force. Déplacer la série criminelle, très East Coast dans l’âme, dans un L.A. millionnaire et fastueux, c’est pouvoir aussi immerger une famille entière dans l’inconfort, lui donner la chance d’échapper à son milieu social et la plonger dans la désillusion. Lui rappeler continuellement d’où elle vient. Et Ray est toujours ramené à sa vraie nature : celle d’un homme éduqué à la dure, sans figure paternelle, sexuellement névrosé, et ployant sous la culpabilité : aucun homme n’a pu sauver sa mère, ni sa sœur, ni son amour de jeunesse. Dans le monde de RAY DONOVAN, le mâle souffre de ne pas être digne des femmes. Alors, Ray, Terry, Bunchy et Mick Donovan accomplissent toutes sortes d’actes désespérés pour offrir aux femmes un monde à leur hauteur. Ann Biderman leur oppose des personnages féminins forts et difficiles à conquérir. Construite dans une légère provocation misogyne, la femme de Ray, Abby, est une éternelle insatisfaite. Ancienne prolo de Boston, elle est aujourd’hui une parvenue reniant ses origines, fermant les yeux sur les agissements de son mari tant qu’il lui garantit un certain luxe de vie. Dans le cas contraire, elle accable, elle juge, elle lui rappelle la crapule qu’il est. Quand ce ne sont pas les personnages féminins qui exigent la grande vie, ce sont les Donovan qui la leur promettent alors qu’elles n’en ont plus besoin. Le malentendu entre ce qu’ils ont à offrir et ce qu’elles leur demandent est permanent, inextricable. Ray, lui, pare toujours aux requêtes les plus pressées, aborde les problèmes avec pragmatisme et parfois, échoue à satisfaire. Le cœur de la série est là : dans la moue déterminée de Ray lorsqu’il veut réparer ce qui ne va pas mais surtout dans son visage circonspect lorsqu’il déçoit. Chez Ann Biderman, le mâle alpha s’accroche désespérément à son statut mais doit abdiquer : il n’est qu’un fantasme, il n’existe pas.

RAY DONOVAN
Saison 3 en diffusion sur Canal+ Séries depuis le 14 juillet
Saison 1 disponible en DVD et Blu-ray
Saison 2 à paraître en vidéo le 16 septembre

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