MISSION : IMPOSSIBLE – ROGUE NATION : chronique

29-07-2015 - 11:55 - Par

MISSION : IMPOSSIBLE – ROGUE NATION : chronique

Vif, rugueux, drôle, malin, spectaculaire, émouvant, exigeant : le cinquième volet de MISSION : IMPOSSIBLE a tout du blockbuster de l’année et continue d’explorer avec passion le destin tragi-héroïque d’Ethan Hunt. Indispensable.

MI5-PosterC’est devenu une règle tacite, peut-être même fortuite ou inconsciente : chaque MISSION : IMPOSSIBLE débute par une séquence en forme de note d’intention narrative, stylistique et méta. ROGUE NATION, le cinquième épisode de la saga, ne fait pas exception. D’un point de vue dramaturgique, l’ouverture du film de Christopher McQuarrie institue l’un des thèmes majeurs de ROGUE NATION : l’élévation d’Ethan Hunt au rang d’abstraction omnisciente quasi divine. Une introduction énorme, folle et jouissive dans tout ce qu’elle a de spectaculaire et de généreux qui, d’un pur point de vue méta, semble lancer au spectateur : « Vous êtes venu voir Tom Cruise jouer au cascadeur de l’extrême ? OK, évacuons ça tout de suite et passons à autre chose, on ne fera pas plus gros. » Sauf que ROGUE NATION va justement passer plus de deux heures à constamment faire mieux et plus imposant que ces quelques dantesques premières minutes. Le credo de ce cinquième épisode est de combiner divers éléments des quatre précédents films pour en obtenir un autre, plus ouvertement personnel pour le réalisateur.

Ainsi ROGUE NATION fait-il nombre de références aux autres MISSION : IMPOSSIBLE (on cite le piratage de la CIA du premier film ou l’explosion au Kremlin du quatrième), on y trouve un Ethan Hunt à mi-chemin entre l’homme en quête de sens de M:I3 et la machine irréelle, presque cartoonesque de PROTOCOLE FANTÔME, ainsi qu’un méchant (fantastique Sean Harris) qui, comme celui de M:I2, serait comme un décalque en négatif du héros. Mais si l’on devait davantage rapprocher ROGUE NATION d’un autre opus de la franchise, ce serait de l’originel réalisé par Brian De Palma – tant pour la manière dont le monde s’avère mis en scène par les personnages que pour la façon dont toute vérité apparaît comme un simulacre. Pas étonnant que ROGUE NATION soit aussi, au côté du premier volet, le plus hitchcockien des MISSION : IMPOSSIBLE. En point d’orgue ? L’une des plus belles séquences vues dans un blockbuster depuis longtemps : une infiltration dans les coulisses d’un opéra, relecture non dissimulée et particulièrement érudite d’une scène mythique de L’HOMME QUI EN SAVAIT TROP. Superbe et haletante, cette scène seule pourrait suffire à résumer la puissance MI5Pic1esthétique et dramatique de ROGUE NATION, le parfait alliage entre ancien et moderne qu’il concocte.

Clamant son amour du vintage (une mission est délivrée à Hunt via un disque vinyle !) mais refusant toute nostalgie passéiste (les outils numériques et notamment les écrans de toutes sortes sont ici des outils primordiaux au récit), McQuarrie livre un film d’action / espionnage passant sans ciller de la nervosité à l’ampleur. Le découpage, impressionnant, ne cherche pas pour autant l’épate inutile. ROGUE NATION propose un cocktail très ‘mcquarrien’ dans l’âme qui, contrairement à celui assez similaire de JACK REACHER, ne dérape jamais. Tout est ici redoutablement bien dosé, de l’humour burlesque à l’urgence, de la rugosité hard boiled des bastons à la vivacité des poursuites. Le tout empaqueté dans une narration fluide, naturelle, enlevée, littéralement opératique, dont la vélocité ne tombe jamais dans l’hystérie. Une excellence narrative et esthétique – on regrettera tout de même quelques fonds verts et CGI ratés, imputables à une post production accélérée – qui fait de ROGUE NATION un blockbuster charmant et retors, malin et partageur, au suspense étouffant et exaltant. Sans doute parce que McQuarrie a l’intelligence de tout fonder sur ses personnages.

La tendresse du spectateur pour Benji (Simon Pegg), Luther (Ving Rhames) et Brandt (Jeremy Renner) ne se dément pas. La nouvelle venue Ilsa Faust (Rebecca Ferguson) se révèle un ajout absolument fantastique – dommage que le film se laisse aller par deux fois à des plans sexy dénudés inutiles. Mais ROGUE NATION est avant tout une nouvelle pierre dans l’analyse d’Ethan Hunt. « C’est MI5Pic2vraiment vous ? J’ai entendu des histoires sur vous… Elles ne peuvent pas être toutes vraies ! », lui dit une très jeune agent, admirative. Héros de la saga depuis vingt ans, Hunt – et son interprète indissociable Tom Cruise – atteint ici le statut d’abstraction légendaire. Il devient la ‘voix dans le ciel’, celui qui énonce une mission dans l’oreille de Benji, il incarne et devient littéralement l’Impossible Mission Force. Il est « la manifestation physique du destin » et « celui qui, souvent, connaît la seule manière de s’en sortir ». Pourtant, si ROGUE NATION fait de Hunt cette entité presque invincible et invisible, ce fantôme insaisissable que tout le monde respecte ou craint, le film le rappelle également brutalement à son statut d’humain mortel – ne serait-ce qu’un instant. Pour la première fois depuis le premier film, le sang – le sien – refait même son apparition à l’écran ! Dans son duel avec Lane (Sean Harris), bad guy façonné par la chute des idéologies, Hunt révèle pleinement l’une de ses caractéristiques premières : en vrai héros romanesque, il ne soutient pas une idée politique – il est d’ailleurs absent des arcanes institutionnelles dépeintes par le film – mais un concept bien plus élusif et subjectif, bien plus global qu’un seul drapeau. Tenter de savoir où se situe le Bien et le Mal pour défendre le premier et combattre le second, telle est la principale mission d’Ethan Hunt. Contrairement à Lane, qui tente de détruire le système qui l’a créé, Hunt n’est l’arme d’aucun régime, si ce n’est celui de ses valeurs – et de celles de son équipe. Que McQuarrie et le très bon score de Joe Kraemer usent à répétition du « Turandot » de Puccini n’a rien d’un hasard : ROGUE NATION vibre d’une certaine cruauté et de la tragédie insoluble que représente l’héroïsme romantique d’Ethan Hunt.

De Chris McQuarrie. Avec Tom Cruise, Rebecca Ferguson, Simon Pegg, Sean Harris, Jeremy Renner, Ving Rhames. États-Unis. 2h15. Sortie le 12 août

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