MISSION : IMPOSSIBLE – ROGUE NATION : Ground Control to Major Tom

12-08-2015 - 09:03 - Par

MISSION : IMPOSSIBLE – ROGUE NATION : Ground Control to Major Tom

Avec son cinquième volet, ROGUE NATION, la franchise MISSION : IMPOSSIBLE continue à prouver sa singularité – consistant à chaque volet à donner une tribune à un réalisateur pour affirmer son style – et à imposer encore un peu plus Tom Cruise comme visage incontournable de la saga.

Ce dossier a été au préalable publié dans le magazine Cinemateaser n°46 daté juillet / août 2015

MI-Pic1Le projet m’est arrivé de manière inattendue. Je travaillais avec Tom sur le script de EDGE OF TOMORROW et un soir, on s’est mis à parler de films et de projets futurs. Et il m’a dit, décontracté : ‘Tu devrais faire un MISSION : IMPOSSIBLE’. Sans y réfléchir je lui ai répondu que ce serait génial. Tout ça était très informel. Quelque temps plus tard il est revenu vers moi et il m’a dit : ‘J’en ai parlé à tout le monde et c’est bon, tu diriges le prochain MISSION : IMPOSSIBLE !’ » Mi-avril, dans la salle du Dolby Theatre de Londres, après avoir présenté une grosse dizaine de minutes de MISSION : IMPOSSIBLE – ROGUE NATION, le réalisateur Chris McQuarrie conte comment il a obtenu le job de la main de Tom Cruise. Une anecdote qui illustre à quel point la star peut être désarmante mais qui rappelle surtout que sur la franchise MISSION : IMPOSSIBLE, le producteur / acteur a quasiment tout pouvoir décisionnaire.

Quelques heures plus tard, Simon Pegg ne nous lance-t-il pas : « Je fais forcément moins [de cascades] que TiCi (sic !) : c’est lui le boss. » La comédienne suédoise Rebecca Ferguson, nouvelle venue dans la saga – elle incarne la mystérieuse Ilsa, qu’Ethan Hunt considère comme une alliée dans sa lutte contre l’organisation terroriste Le Syndicat –, nous explique : « Cette franchise, c’est le bébé de Tom. Il est impliqué depuis le début, il aide à tous les postes si besoin, que ce soit au montage ou au jeu. Il est partout pour que ces films se fassent. » Tom Cruise est le patron et, en conséquence, il considère qu’il doit en faire plus que les autres. Toujours plus. « Il prend tout très au sérieux, explique McQuarrie. Pas uniquement les cascades. Les inserts, aussi. S’il y a un plan de la main de Hunt sur un téléphone, soyez sûrs qu’il s’agit de la main de Tom. Il sera là sur le plateau pour tous les plans de coupe, même pour filmer ses chaussures. »

Alors oui, un tel engagement a quelques contreparties, comme celle de pouvoir choisir par qui il souhaite être dirigé dans MISSION : IMPOSSIBLE. Après tout, s’il y a bien une décision qui lui est toujours revenue depuis le début de la saga, c’est le choix du cinéaste. Après Brian De Palma, John Woo, J.J. Abrams et Brad Bird, voici donc Chris McQuarrie. C’est l’aboutissement d’une collaboration datant de plus de sept ans. Elle avait commencé quand McQuarrie a écrit le script de WALKYRIE, pour continuer sur le projet JACK REACHER, dont il était non seulement le scénariste mais aussi le réalisateur, pour mener aux réécritures de EDGE OF TOMORROW, blockbuster Warner dirigé par Doug Liman. McQuarrie et Cruise sont de vieux complices appréciant la compagnie l’un de l’autre : « Nous aimons les mêmes films et nous les aimons pour les mêmes raisons, explique le réalisateur. Et lorsqu’on prépare un plan, il est fréquent qu’on finisse les phrases de l’autre. (…) Nous sommes sur la même longueur d’ondes en termes de storytelling. Cela rend le processus de travail très facile. »

Exergue1Pour Cruise, engager McQuarrie sur ROGUE NATION, c’est l’occasion d’imposer son ami et collaborateur sur la liste A. Comme il l’avait fait pour J.J. Abrams, qui avant MISSION : IMPOSSIBLE 3 n’était qu’un wonderboy télé n’ayant jamais dirigé de long-métrage, puis pour Brad Bird, dont l’aura dans l’animation n’en faisait pas pour autant un grand cinéaste de live action aux yeux des exécutifs hollywoodiens. Après le demi-succès de JACK REACHER (218 millions de recettes mondiales pour 60 de budget hors marketing), le cinquième MISSION : IMPOSSIBLE devrait être l’occasion pour McQuarrie de mettre son style à l’épreuve auprès d’un plus large public. Que ce soit comme réalisateur (WAY OF THE GUN, JACK REACHER) ou comme scénariste (USUAL SUSPECTS, WALKYRIE), McQuarrie aime le thriller sournois, le suspense étouffant, le mélange détonant de violence et d’humour burlesque (cf la scène de baston dans une salle de bains de JACK REACHER), les protagonistes aux fortes personnalités. McQuarrie fait des films secs et durs, pas loin d’être hard boiled. Il embrasse un cinéma suranné, qui n’a plus cours aujourd’hui. Lors de la sortie de JACK REACHER, il nous confiait ainsi : « Aujourd’hui, le storytelling est éclipsé par le spectacle. Nous avions peur que JACK REACHER ne corresponde plus à l’appétit et à l’œil du public actuel. Moi je veux faire des films comme ceux avec lesquels j’ai grandi. Ceux d’Alan J. Pakula, Sidney Lumet, Don Siegel ou Alfred Hitchcock. » MISSION : IMPOSSIBLE ressemblant toujours à l’auteur aux commandes, cet apparat old school si particulier sera forcément au cœur même de ROGUE NATION, comme l’avait déjà laissé entendre le coscénariste Drew Pearce : « Le ton de ce MISSION : IMPOSSIBLE sera inédit : ce film vient du cerveau derrière USUAL SUSPECTS. Quiconque connaît le travail de Chris sait dans quelle palette de tonalités il aime évoluer. PROTOCOLE FANTÔME est aussi resté un merveilleux modèle pour nous. »

Mi-Pic3Simon Pegg nous confirme la nature mix de ROGUE NATION : « Chris a regardé dans le rétroviseur de la franchise – qui a été dirigée par la série de réalisateurs la plus éclectique qui soit. Il a choisi et trié sur le volet des éléments des quatre précédents épisodes pour créer le style du cinquième. C’est très intéressant car ROGUE NATION a une vibe assez classique en revenant à une atmosphère assez proche du premier volet mais en même temps il demeure – et cela ne pouvait être autrement – une continuation de ce qu’avait fait Brad sur PROTOCOLE FANTÔME. Si ROGUE NATION est ce qu’il me semblait être sur le plateau, il sera une combinaison de tous ces éléments avec un pan classique consacré aux personnages et un pan plus hard boiled pour l’action. » McQuarrie lui- même a conclu le Q&A en affirmant que ROGUE NATION « est un film différent des quatre précédents tout en en portant l’esprit ». Le plus intéressant étant sans doute que, dans l’idée de son amour pour un cinéma malheureusement obsolète, McQuarrie se serait avant tout inspiré du tout premier épisode, réalisé par Brian De Palma et qualifié de pierre de touche par Drew Pearce. « J’ai beaucoup regardé le premier MISSION : IMPOSSIBLE, nous assure le réalisateur, mais aussi LES INCORRUPTIBLES et je me suis attardé sur ce que [Brian] faisait techniquement. » Logique, quand on sait les passerelles qui unissent De Palma à Hitchcock (voir p.69). Le Maître du Suspense est aussi au cœur de la relation McQuarrie / Cruise : « Les films du Hitch reviennent souvent dans nos discussions, explique le cinéaste. (…) Tom aime énormément LES ENCHAÎNÉS : ce film a grandement influencé tout ce que nous avons fait ensemble. LES ENCHAÎNÉS est notamment très précis dans son usage des gros plans et cela a de l’influence sur ROGUE NATION. La technique des films d’action aujourd’hui tend à aller vers la shaky cam et cacher le fait que le danger n’existe pas réellement. Ici, on essaie de se mettre en retrait et d’observer l’action se dérouler. (…) Normalement, j’aurais des cascadeurs et je devrais monter le film en coupant pour cacher qu’il s’agit de doublures. Mais le fait que Tom et Rebecca fassent leurs cascades et leurs combats inverse la donne : je dois me débrouiller pour mener la caméra au centre des choses pour montrer que c’est bien Tom et Rebecca, tout en gardant l’énergie de la séquence. (…) Une autre de nos influences a été Sydney Pollack – Tom et moi, Exergue2on parle souvent de lui : de son travail, de son storytelling, de son approche des personnages, de son point de vue subjectif et de comment il en joue. » Retour aux sources, encore une fois : après avoir joué pour Pollack dans LA FIRME, Cruise lui avait confié l’écriture de la première mouture du MISSION : IMPOSSIBLE inaugural… Mélange d’inspirations passées et volonté de McQuarrie de confronter le spectateur à l’action en la filmant au plus près – nous en avons eu confirmation avec une scène de baston d’une brutalité et d’une efficacité folle : ROGUE NATION a forcément tout sur le papier pour être, comme tous les MISSION : IMPOSSIBLE, un film de son auteur. Hard boiled et old school.

Mais voilà bien tout le paradoxe de MISSION : IMPOSSIBLE. Si chaque film est bien l’enfant de son réalisateur – stylistiquement, thématiquement – et affiche un univers très marqué, une singularité indéniable, l’ensemble de ces longs-métrages forme la franchise d’un seul homme. Tom Cruise. Si l’on dit MISSION : IMPOSSIBLE, que vient immédiatement à l’esprit ? Certains répondront sans doute « La série des 60’s » ou « Jim Phelps ». Mais l’immense majorité des gens, même ceux ayant connu le show télé créé par Bruce Geller, répondront « Tom Cruise ». « Absolument, nous confirme Pegg. MISSION : IMPOSSIBLE est devenu synonyme de Tom Cruise. La franchise cinéma a désormais presque vingt ans et elle tourne autour de lui. Il est le visage de cette saga et il continuera à l’être si on fait plus de films. » Cruise, moteur sans lequel la franchise ne pourrait vivre ? Bien qu’évident et juste, voilà qui est plutôt ironique. Flashback : PROTOCOLE FANTÔME avait été au départ envisagé comme un potentiel passage de relais entre Cruise et Jeremy Renner, qui reprendrait la franchise à son compte. La faute à une série d’échecs au box-office pour Cruise (LIONS ET AGNEAUX, WALKYRIE, NIGHT & DAY) et à une image écornée. Exit la star tutélaire ? Pas si vite. Non content de recevoir des critiques élogieuses, PROTOCOLE FANTÔME s’est imposé comme le plus gros succès de la saga avec 694 millions de recettes. L’implication folle de Cruise à l’image, notamment dans la désormais mythique scène de la Burj Khalifa, n’y est sans doute pas pour rien. Ce triomphe a définitivement entériné l’idée que l’acteur incarne la franchise mieux que quiconque. Voire que le public l’aime dans MISSION : IMPOSSIBLE plus que dans tout autre film. En quelque sorte, au fil des ans, alors qu’Hollywood change, que le statut des stars d’antan se transforme, Cruise et MISSION : IMPOSSIBLE se nourrissent et s’élèvent mutuellement, chacun finissant par davantage définir l’autre de film en film. Voilà trois ans, l’acteur déclarait au magazine Total Film : « J’ai commencé MISSION : IMPOSSIBLE avec l’espoir de pouvoir en faire plusieurs. [Ethan Hunt] est un personnage avec lequel je peux grandir. À l’époque, MISSION : IMPOSSIBLE [premier du nom] était le film le plus cher de l’histoire de Paramount mais aussi le premier projet que je produisais. Tout cela a été plutôt excitant. Alors je ferai autant de volets que le public voudra. » Cette soif nous a MI-Pic2été décrite par McQuarrie à Londres : « Pour Tom, ce métier n’est pas ce qu’il fait pour vivre. C’est ce qu’il AIME faire. Il aime faire des films, il aime divertir. Il aime le processus. Du coup il encourage tout le monde à s’engager, à repousser ses limites, à penser hors des sentiers battus. Cela apporte une autre énergie, même dans les jours difficiles, car au centre du processus, il y a toujours cette personne extrêmement positive et confiante. Il est littéralement une machine à faire des films. »

En un sens, que ROGUE NATION soit décrit par Drew Pearce, Simon Pegg et Chris McQuarrie comme un quasi digest des quatre précédents volets semble presque logique : ce cinquième épisode doit être un accomplissement, un apogée – d’autant que Cruise le fait avec un ami et collaborateur de longue date. La nouvelle folle cascade qu’il effectue cette fois – être accroché à un avion en vol, cf encadré – pourrait même être la réification de cette volonté de paroxysme. Depuis vingt ans, Cruise court – encore et toujours –, saute, escalade, conduit à tombeau ouvert. Que pourrait-il faire de plus que de voler au- dessus de la mêlée ? Autre symbole de l’emprise toujours plus imparable de Cruise sur sa franchise : la sérialisation du récit. Le tout dernier plan de PROTOCOLE FANTÔME voyait Hunt recevant une nouvelle mission : « Le réseau de communication de l’armée a été piraté. Une organisation terroriste émergente, le Syndicat, contrôle notre flotte de drones. » ROGUE NATION débutera quelque temps après, Hunt traquant le Syndicat. Tout comme le quatrième volet faisait mention au précédent en faisant revenir pour un caméo l’ex-épouse de Hunt, ROGUE NATION s’affirme en suite directe. Peu à peu, même si les intrigues demeurent indépendantes les une des autres, si les missions impossibles restent imperméables les unes aux autres, un fil rouge se fait jour : celui du destin tragi- héroïque d’Ethan Hunt. Une sérialisation des enjeux émotionnels et personnels qui imposent de fait la présence de Cruise au générique. Cette saga est autant la sienne que celle de Hunt. Ce qui tombe plutôt bien : selon la rumeur, un MISSION : IMPOSSIBLE 6 serait déjà en développement. Pour aller vers quel apogée, cette fois ? À Tom Cruise de le décider, évidemment.

MISSION : IMPOSSIBLE – ROGUE NATION
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