Toronto 2015 : COLLECTIVE INVENTION / Critique

11-09-2015 - 06:22 - Par

Toronto 2015 : COLLECTIVE INVENTION / Critique

Kwon Oh-kwang signe une fable satirique qui passe allègrement de la comédie pure à l’énervement politisé et à la tragédie poignante. Joyeusement dingue.

Un homme qui cache son énorme tête de poisson sous une large capuche de sweat-shirt. Sans même que l’on sache quoi que ce soit du film, les premières photos de COLLECTIVE INVENTION ne pouvaient que capter l’attention, convoquer l’imagination. Cette image, mi-irréelle mi-grotesque, était la promesse d’une expérience de cinéma iconoclaste – d’autant que COLLECTIVE INVENTION est Sud-coréen. Forcément. Mais avec l’histoire de Park Gu, jeune homme se transformant en poisson à la suite de tests cliniques d’une nouvelle protéine, Kwon Oh-kwang ambitionne bien plus que d’être une simple curiosité. Partant d’un récit gigogne – un flashback dans un flashback –, il va dérouler pendant 90 minutes un récit furieusement dense dans son message et ses émotions. Satire féroce d’une société capitaliste et patriarcale, COLLECTIVE INVENTION, à la Coréenne, fait montre d’un énervement et d’une colère absolument délectables. Moteur d’un humour tantôt acerbe et politique, tantôt débile et cartoonesque, cette rage va rapidement s’attaquer aux cibles récurrentes du cinéma coréen : les autorités en tout genres, corrompues, néfastes et obstacles à l’épanouissement de l’individu. Kwon raille cette Corée patriotique dont la grandeur passe avant toute chose – y compris les Droits de l’Homme – et lui oppose une génération entière de jeunes incapables d’accomplir leurs rêves, de trouver du boulot, forcés de vendre leur corps aux laboratoires en mal de cobayes. Maîtrisant à merveille le pan comique de son film, jusqu’à y fourrer une foule de détails, Kwon va avec brio titiller l’absurdité la plus totale – une scène d’exorcisme évangéliste que n’auraient pas renié les Monty Python – et tirer volontairement sans finesse sur l’hystérie collective et la manipulation médiatique. Débordant d’intentions et d’envies, Kwon, dont il s’agit du premier film, peine parfois à contenir son flot d’idées et le récit de COLLECTIVE INVENTION de se faire par moment bancal, victime de ce trop-plein. Mais c’est sans compter le dernier acte du film, surprise du chef finale : sans la surligner, Kwon effectue une soudaine rupture de ton. Désormais focalisé sur la solitude de cet homme-poisson admiré comme un dieu ou haï comme un démon, stigmate d’une société acquise à la célébrité, totem sur lequel chacun projette ses états d’âmes, COLLECTIVE INVENTION se fait tragédie. Kwon tire une beauté poignante de la tristesse de Park Gu – et c’est d’ailleurs dans ce dernier tiers que l’on trouve les plans les plus saisissants et la plus belle lumière. Un revirement de situation où le sourire est banni et où l’on fait l’éloge de la banalité, de l’ordinaire : la mélancolie qui en émerge ne fait que renforcer la colère burlesque des débuts, comme si les deux faces de la médaille se nourrissaient l’une l’autre.

De Kwon Oh-kwang. Avec Kwang-soo Lee, Chun-hee Lee, Bo-young Park. Corée du sud. 1h32. Prochainement

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