Toronto 2015 : BEASTS OF NO NATION / Critique

12-09-2015 - 21:31 - Par

Toronto 2015 : BEASTS OF NO NATION / Critique

Cary Fukunaga filme la guerre comme une transe maléfique. D’une puissance filmique et émotionnelle folle.

À travers le cadre vide d’un poste de télé désossé, le tout jeune Agu (le débutant Abraham Attah, superbe) propose aux habitants de son village de regarder des programmes – films de kung-fu, télénovelas etc – qu’il interprète avec ses amis. En quelques minutes, Cary Fukunaga tient son public : la beauté fugace de l’exposition de BEASTS OF NO NATION, entre jeux d’enfants et vie de famille, capte l’innocence et l’imagination qui vont bientôt être détruites. Quelques séquences dans lesquelles le cinéaste filme l’Afrique avec amour, dépeint la joie, le bonheur, le quotidien. Histoire de ne pas réduire le continent à la violente tragédie qui va suivre. À ce naturalisme simple, évident, poignant car fragile – comme ces rais de lumière qui viennent souvent illuminer le regard apeuré d’Agu –, Fukunaga vient bientôt opposer la machine monstrueuse de la guerre. Agu va se retrouver seul dans la forêt : une proie de son environnement qui devient enfant-soldat pour le compte du Commandant (Idris Elba). Ce seigneur de guerre, la mise en scène brillamment pensée de Cary Fukunaga le transforme en shaman ou en gourou – décadré, en gros plan ou perpétuellement suivi par la caméra, le Commandant possède le cadre, il le domine, le contrôle, tout comme il soumet la volonté de garçons en leur promettant sournoisement qu’ils iront se battre contre l’armée qui a tué leurs pères. Une figure écrasante, presque mythologique ou fantasmatique, sorte de démon corrupteur qui mène Agu vers une barbarie toujours filmée sans détour, mais sans stylisation pour autant. BEASTS OF NO NATION est bien trop intelligent et viscéral pour ça. Peu à peu, le film se mue en tourbillon d’une rare brutalité, à l’intensité dont on peine à contrôler les effets émotionnels. Lors de séquences guerrières hallucinantes – au sens premier du terme –, Fukunaga laisse parler ses images et le score planant, tristement évocateur de Dan Romer (LES BÊTES DU SUD SAUVAGE). Frayant sur le terrain d’APOCALYPSE NOW, il bâtit des bulles visuelles et sonores, un trop-plein englobant le spectateur : ici, la transe procurée par la violence se fait presque palpable, elle agresse les sens du public et entraîne un déferlement d’émotions. Les larmes viennent, les tripes se nouent, la gorge se serre : face à la puissance – émotionnelle, cinématographique – de BEASTS OF NO NATION, l’abdication est totale. Une œuvre tel un bloc, presque intimidant, qui impose encore un peu plus Fukunaga comme l’un des grands cinéastes de sa génération et qui, même si son récit flotte parfois, devrait demeurer comme l’une des plus marquantes de l’année.

De Cary Joji Fukunaga. Avec Abraham Attah, Idris Elba, Ama K. Abebrese. États-Unis. 2h13. Disponible sur Netflix le 16 octobre

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