Et si on revenait sur EXPLORERS, Joe Dante ?

24-11-2015 - 15:40 - Par

Et si on revenait sur EXPLORERS, Joe Dante ?

Invité spécial du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg en septembre dernier, le légendaire Joe Dante a accordé à Cinemateaser un entretien un peu spécial mettant de côté GREMLINS, PIRANHAS, L’AVENTURE INTÉRIEURE ou les travers d’Hollywood – sujets qu’il aborde très souvent –, et se concentrant sur un de ses films mal aimé et pourtant indispensable : EXPLORERS. Direction : les confins de l’espace.

Cet entretien a été publié au préalable dans le magazine Cinemateaser n°49 daté novembre 2015

Explorers-PosterEn cette année 2015, on ne fête pas que les 30 ans de la saga RETOUR VERS LE FUTUR. Au creux de l’été 1985, alors que Marty McFly et Doc Brown enflammaient les imaginations du public américain sortait dans l’indifférence quasi générale EXPLORERS, cinquième long-métrage de Joe Dante, alors âgé de 38 ans et qui, l’année précédente, avait triomphé avec GREMLINS, chef-d’œuvre d’irrévérence. Là, il tentait le film familial pour enfants plus traditionnel et suivait trois pré-ados qui, motivés par les rêves récurrents de l’un d’eux et portés par le génie mécanique d’un autre, construisent un vaisseau spatial pour rejoindre une civilisation extraterrestre. Produit à la va comme je te pousse avec l’ambition de surfer sur le succès d’E.T., monté trop rapidement, sorti à la va vite par des studios Paramount avides de profiter de la saison estivale, EXPLORERS s’avère bourré de défauts – dont un troisième acte bancal –, et finit rejeté par la critique et le public – moins de dix millions de dollars de recettes aux USA. Il n’en demeure pas moins le film qui a lancé les carrières de Ethan Hawke et River Phoenix. Surtout, il s’est finalement imposé comme un classique des années 80 pour ceux qui, alors enfants, n’avaient que faire de toutes ces contingences triviales et découvraient avec émerveillement la possibilité d’un ailleurs dans les étoiles, étrangement exaltant, où des aliens aux allures de chewing gums géants se révèlent passionnés de culture populaire terrienne. Un ailleurs à portée d’imagination qui mérite bien d’être réhabilité et célébré en ces pages, avec Joe Dante lui-même, bonhomme souriant, bienveillant et timide devant l’amour que l’on peut témoigner à son œuvre. « Thunder Road ! »

 

Après avoir tourné EXPLORERS durant l’automne 1984 et l’hiver 1985, vous avez rapidement fourni un premier montage à Paramount. Pourquoi le studio a-t-il alors décidé d’accélérer la post production et d’avancer la sortie du film ?
Je n’ai pas initié le projet EXPLORERS, il m’a été confié après GREMLINS. À l’origine, c’est Wolfgang Petersen qui devait le réaliser mais au final Paramount ne voulait pas d’un nouveau L’HISTOIRE SANS FIN. Le studio a donc pensé à moi et m’a fait parvenir un script si confidentiel que je devais le lire en présence d’exécutifs avant de le leur rendre. À cette époque, les studios de production étaient très paranoïaques. Après GREMLINS, qui avait été très difficile à tourner, je pensais que cette histoire de trois gamins voyageant dans un vaisseau spatial serait beaucoup plus simple à réaliser. Ça a été tout le contraire : le tournage d’EXPLORERS s’est avéré beaucoup plus compliqué et onéreux. Le studio nous avait fixé des délais que je jugeais impossibles mais j’ai quand même accepté alors que le scénario n’était pas encore finalisé. Alors que nous étions en plein montage, les nouveaux patrons nous ont demandé d’accélérer la cadence afin que le film sorte durant la saison estivale. Non seulement le film n’était pas vraiment terminé mais en plus il est sorti le week-end du concert « Live Aid » (spectacle caritatif pour l’Ethiopie tenu à Londres ainsi qu’à Philadelphie et diffusé en direct dans le monde entier, ndlr). Les cinémas étaient totalement déserts. Ça été un désastre complet.

Explorers-Pic2Quel souvenir avez-vous de l’accueil reçu par le film ?
Les critiques ont été assassines. Les seules personnes dont j’ai eu de bons retours étaient des enfants et leurs parents. Mais je ne fais pas des films pour les critiques ou le public mais pour moi. Je ne pourrais pas faire un film dans lequel je ne me reconnais pas ou que je n’irais jamais voir. Lorsqu’on m’a proposé EXPLORERS, je me suis dit que ce serait exactement le genre de films que j’aimerais voir au cinéma.

Le montage ayant été accéléré, le film conte-t-il au final l’histoire que vous souhaitiez raconter ?
À peu de choses près, je voulais raconter ce que l’on voit à l’écran. À savoir l’histoire de gamins décidés à explorer l’espace à la recherche d’extraterrestres qui leur livreraient les secrets de l’univers. Sauf qu’ils rentrent déçus parce que ceux qu’ils rencontrent sont des enfants comme eux qui ne connaissent l’espèce humaine qu’à travers des programmes télé. C’est une conception assez déconcertante de ce qu’est l’être humain.

La légende veut que vous ayez mis près d’une heure d’images au rebus, impliquant notamment des sous- intrigues autour de la famille du personnage d’Ethan Hawke. Existe-t- il une version longue d’EXPLORERS ?
Non, tout simplement parce que nous n’avons jamais eu le temps de terminer le montage et faire le film que nous voulions faire. La première partie est assez complète, la seconde est beaucoup plus chaotique. De nombreuses idées ont été sacrifiées. Les dix dernières minutes en particulier ont été le fruit d’un tel compromis qu’elles ne font plus sens. Cependant, les gens ne cessent de me parler du film, de ce qu’il a représenté pour eux. Et même si c’est merveilleux à entendre, chaque fois que je vois EXPLORERS, je vois un film au potentiel gâché.

Quel genre d’idées avez-vous dû sacrifier ?
La fin du film devait dérouler une théorie selon laquelle tous les personnages du film étaient connectés. Ce concept a été complétement abandonné au final. Le film aurait dû être beaucoup plus métaphysique, en ce sens. Si vous regardez attentivement – et en particulier la dernière partie – vous remarquerez que beaucoup de passages ont été doublés en post synchronisation pour donner plus de sens aux dialogues parce que les répliques originales faisaient référence à des idées qu’on ne voit finalement pas dans le film.

Explorers-ExergueEXPLORERS développe un tel sens du merveilleux et livre un regard si exaltant sur l’enfance que beaucoup croient encore qu’il s’agit d’une production Amblin…
On peut considérer EXPLORERS comme un film Amblin dans sa première partie. Mais il y a ensuite, commercialement parlant, un point de rupture lors de la première rencontre entre les enfants et les extraterrestres. À l’instant où un des aliens lance « Quoi de neuf, docteur ? », les spectateurs comprennent que quelque chose ne va pas et qu’ils ne sont pas devant une production Amblin.

En dépit de l’échec du film, comment expliquez-vous l’impact qu’il a eu au bout du compte sur toute une génération ?
Je pense que le marché de la vidéo a beaucoup aidé. Cela a permis au public de découvrir beaucoup de films qui n’avaient pas marché en salles. Le fait de pouvoir regarder les films autant de fois qu’on le souhaitait a été une vraie révolution à l’époque. Pas tant pour moi qui, dans ma quête effrénée de voir le plus de films possibles, me suis très tôt mis à collectionner des copies pellicule. Voir des films sur un projecteur était beaucoup plus compliqué que sur un magnétoscope, ça n’avait rien à voir. Dans les années 80, les gens n’avaient pas du tout conscience que la VHS deviendrait obsolète et qu’ils devraient racheter tous leurs films en DVD puis en Blu-ray, en streaming… Combien d’argent peut-on faire avec le même film ? (Rires.)

Cette explosion de la vidéo a-t-elle à un moment donné influencé votre cinéma ?
Influencé non, mais sauvé oui car je fais partie de cette génération de réalisateurs dont les films passés inaperçus en salles sont devenus de véritables succès grâce à la VHS.

En dépit de son parcours chaotique, êtes-vous fier d’EXPLORERS en fin de compte ?
Bien sûr. Mais je suis aussi très triste. Il m’est très difficile de le regarder car je sais que le résultat aurait été différent si j’avais eu plus de temps au montage. Un film peut totalement changer de direction entre l’écriture et la post production. C’est en particulier vrai durant le montage où l’on peut se rendre compte que les images tournées racontent une toute autre histoire que celle qui était pensée à l’origine. Le montage, c’est ce qui différencie le cinéma des autres arts comme le théâtre ou la peinture.

Explorers-Pic1Étant donné l’amour qu’une partie du public porte à EXPLORERS, les studios Paramount vous ont-ils un jour proposé de travailler un nouveau montage plus en adéquation avec ce que vous vouliez raconter à l’époque ?
Non, car ça ne les intéresse pas. Un immense fan d’EXPLORERS m’avait proposé de financer la restauration du film. Quand nous sommes allés chez Paramount, ils n’avaient plus aucun négatif du film, ils avaient tout jeté… Le studio a même ajouté que je devais m’estimer chanceux que le film soit sorti en vidéo. C’est dire combien ils méprisent EXPLORERS. Dans ce milieu, les succès au box-office seront toujours mieux considérés que les échecs. J’ai entendu dire qu’un remake d’EXPLORERS était envisagé mais je ne vois pas comment ça pourrait marcher.

Pourquoi ?
Parce que c’est un film symptomatique de son époque. Dans le script original, les enfants extraterrestres devaient jouer au baseball mais cette idée ne me plaisait pas. Au début du tournage, nous ne savions même pas à quoi ils ressembleraient, c’est après que nous avons eu cette idée de les faire s’exprimer à travers la pop culture. Cela n’a pas plu à une certaine frange du public, tandis que d’autres personnes ont trouvé cette idée meilleure que toute la partie ‘spielbergienne’ du film. EXPLORERS est ce qu’il est, il faut le prendre en tant que tel, même si le résultat ne plaît pas à tout le monde.

Votre expérience sur EXPLORERS vous a-t-elle changé ?

Ça m’a surtout incité à ne pas abandonner. C’était difficile après le succès de GREMLINS d’être associé à un échec de l’ampleur d’EXPLORERS. Il faut dire que les affiches portaient la mention « Par le réalisateur de GREMLINS » en gros caractères ! À ce moment-là, j’ai cru que ma carrière était fichue. (Rires.) J’ai finalement pu m’en relever et aller de l’avant.

 

 

 

 

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