Cannes 2016 : THE STRANGERS / Critique

18-05-2016 - 17:06 - Par

Cannes 2016 : GOKSEONG

De Na Hong-jin. Sélection officielle, Hors Compétition.

Synopsis (officiel) : La vie d’un village coréen est bouleversée par une série de meurtres, aussi sauvages qu’inexpliqués, qui frappe au hasard la petite communauté rurale. La présence, récente, d’un vieil étranger qui vit en ermite dans les bois attise rumeurs et superstitions. Face à l’incompétence de la police pour trouver l’assassin ou une explication sensée, certains villageois demandent l’aide d’un chaman. Pour Jong-gu aussi, un policier dont la famille est directement menacée, il est de plus en plus évident que ces crimes ont un fondement surnaturel…

De son précédent long-métrage, THE MURDERER, nous soulignions en 2011 le baroque. Cinq ans plus tard, Na Hong-jin ne s’est pas franchement calmé. Car baroque et opératique, THE STRANGERS l’est assurément, s’affirmant scène après scène comme une œuvre furieuse, totale, sans compromis – quitte à aliéner certains spectateurs –, faite de sang, de pluie, de cris, de rires, de larmes, de shamanisme, de religion, d’occulte. Dans un petit village des montagnes de la province de Gokseong, un homme atteint d’un mal mystérieux a sauvagement assassiné un couple. Jong-gu, policier local, enquête : cet acte de folie passagère est-il dû à des champignons venimeux ? Ou à des actes occultes commis par un Japonais solitaire vivant dans la région ? Jong-gu se perd en conjectures jusqu’à ce que sa fille soit touchée de la même maladie que le meurtrier… Dans la grande mécanique des choses, sommes-nous tous des asticots se tortillant au bout d’un hameçon ? C’est la question que semble poser Na dans un des tout premiers plans de THE STRANGERS. Pourtant, son troisième long-métrage ne s’apprécie pas tant dans le décryptage d’un propos ou d’une quelconque métaphore mais dans l’expérience sensorielle et émotionnelle qu’il procure. Plongée insensée dans l’enfer du Mal – un peu comme l’était THE CHASER –, THE STRANGERS sonde certes l’ésotérique et les croyances mais oppose surtout le spectateur à une œuvre diaboliquement construite. Na joue notamment avec brio du sacro-saint mélange des genres cher aux Coréens dans un scénario qui, dans sa première heure, imbrique humour et terreur dans un ballet jubilatoire prouvant que l’on peut faire rire aux éclats de l’horreur et générer la terreur dans une saillie burlesque. D’aucuns trouveront tout cela un poil chaotique et ça l’est : THE STRANGERS décortique sans en faire trop les mécanismes de l’hystérie, de la peur, de la rumeur, brouille les pistes pour mieux dérouter et impliquer le spectateur, qui ne cesse de se demander s’il a affaire à un tueur en série, des zombies, une possession ou un virus. Le tout pour mieux tordre ses tripes et soumettre ses sens. Une soumission passant par un écrin esthétique qui est, comme de coutume chez Na, une splendeur : le découpage est précis, les plans souvent iconiques, les images évocatrices, les compositions inquiétantes, la lumière et l’étalonnage denses sans être sur-stylisés. Mais c’est peut-être le travail sonore qui impressionne le plus : le score, particulièrement sentencieux et le sound design, démentiel de profondeur, bâtissent une atmosphère générale écrasante, profondément effrayante. On citera notamment une séance d’exorcisme et une autre de rite occulte où se confondent cris, incantations et percussions et qui s’affirment comme deux des scènes les plus prodigieuses et éprouvantes vues sur un grand écran cette année. On pourra peut-être reprocher à THE STRANGERS de se perdre dans cette cathédrale narrative et visuelle qu’il construit – le dernier quart d’heure, un peu foutraque dans sa résolution, en irritera sans doute plus d’un. Reste que THE STRANGERS a un goût communicatif du mystère et demeure une expérience aussi charnelle que mentale de cinéma. 2h35 de folie pure où, cloués au siège, on plonge contre notre gré nos yeux dans ceux du Mal.

De Na Hong-jin. Avec Kwak Do-Won, Hwang Jeong-min, Chun Woo-hee. Corée du Sud. 2h36. Prochainement

 

 

 

 

 

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