Cannes 2016 : AMERICAN HONEY / Critique

14-05-2016 - 23:54 - Par

Cannes 2016 : AMERICAN HONEY

D’Andrea Arnold. Sélection officielle, En Compétition.

Synopsis (officiel) : Star (Sasha Lane), une adolescente, quitte sa famille dysfonctionelle et rejoint une équipe de vente d’abonnements de magazines, qui parcourt le midwest américain en faisant du porte à porte. Aussitôt à sa place parmi cette bande de jeunes, dont fait partie Jake (Shia LeBeouf), elle adopte rapidement leur style de vie, rythmé par des soirées arrosées, des petits méfaits et des histoires d’amour…

Andrea Arnold est l’une des rares découvertes cannoises de ces dix dernières années. Ses deux premiers films, RED ROAD et FISH TANK, avaient été projetés en compétition et faisaient émerger une artiste britannique au style brut, avec un petit penchant pour les personnages prolétaires, pas spécialement gâtés par la vie. Son retour en compétition passe une nouvelle fois par la case « personnages défavorisés » mais cette fois, Arnold a traversé l’Atlantique et est partie filmer l’Amérique – quel metteur en scène n’a pas envie de se frotter à l’un des pays qui a fondé notre imaginaire ? Alors Andrea Arnold opte pour le road movie, si loin si proche du « Sur la route » de Kerouac, avec ses personnages un peu tapés et ses expériences presque mystiques.

Ici, Star (la jeune héroïne ayant fui sa misérable existence en prenant la tangente avec un groupe de jeunes vendeurs au porte à porte) sillonne des États américains mais pas n’importe lesquels : ceux du cru. Arkansas, Oklahoma, Kansas… Des coins que la pop culture a étiqueté « contrées de bouseux ». Le sujet central de AMERICAN HONEY se veut fondamental : le rêve américain, ce n’est décidément pas pour tout le monde. Voilà qui enfonce une bien belle porte ouverte. Heureusement, au-delà du regard politique vitreux, il y a une histoire d’amour passionnelle et contrariée entre Star et Jake, soit Sasha Lane et Shia LaBeouf. La première, novice, est une révélation, quand le second assoit avec insolence un talent monstre. Et pas seulement parce qu’il fait montre d’une dévotion toute entière à son rôle, mais bien parce que tout dans son corps et dans son regard transpire d’émotions et de sentiments. Il remplit à lui seul le quota subtilité du film, le reste n’étant que chansons illustratives (des raps qui parlent d’argent, des morceaux folk un peu chauvines et du Bruce Springsteen) et symbolisme lourd (une passe effectuée près d’un gisement de pétrole achèvera de dépeindre une Amérique à deux vitesses). Rajouter à cela que le groupe est tenu d’une main de fer par une sorte de mère maquerelle du capitalisme, forçant les moins rentables vendeurs à se battre en fin de semaine, (personnage assez génial, incarnée par Riley Keough, la petite fille d’Elvis) et vous aurez compris que le petit travailleur américain est prisonnier d’un libéralisme à toutes les échelles.

Imparfait et radoteur, AMERICAN HONEY a de belles qualités émotionnelles. Mais par dessus ça, il y a la forme. Parce que ci-gît l’Amérique grandiose et fantasmatique du Cinémascope, Andrea Arnold filme en 4/3 des vies trop étriquées et des perspectives d’avenir réduites. Le souci étant que la théorie ne pèse pas lourd face à l’impression prégnante que AMERICAN HONEY veut emprunter à l’esthétique de Hipstamatic ou d’Instagram. Outre le format, la cinéaste ne lésine pas sur les filtres. Elle glamourise une Amérique pauvre et marginale. Mais là où elle aurait pu se placer sous l’aile d’Harmony Korine, Gus Van Sant ou Larry Clarke, les maîtres à penser quand on parle de cette Amérique là, elle emprunte au final à toute l’imagerie qui a découlé de l’univers plastique de ces cinéastes et l’a même galvaudé. AMERICAN HONEY, film Vice ? Malheureusement, oui. Quand deux des personnages secondaires finissent par adopter un chien, ça saute aux yeux : le pitbull, c’était tout ce qui manquait au décorum. Pour le reste – cheveux sales, débardeurs dégueulasses, dents en moins, tatouages à outrance, camionnettes ringardes, feux de joie et anticonformisme de façade –, tout y est. À part le photographe payé une fortune pour immortaliser sur papier glacé cette Amérique white trash et publier ça dans un reportage de coffee table books. Bref, Andrea Arnold s’attache à une Amérique plus publicitaire qu’authentique. Forcément, à force d’être fabriqué, le film aboutit souvent à des scènes incroyables, des plans d’une beauté foudroyante. Mais tout ça est délayé dans un long-métrage de 2h40, et sous lequel, on est sûrs, se cache un fabuleux film de 1h55 – pour cela, il aurait fallu couper. Car AMERICAN HONEY est d’abord une errance complaisante. On a bien songé un temps que cette communauté d’idéalistes virerait sucette, ce qui aurait pu davantage structurer le film et lui donner un petit air de LA PLAGE sans la mer. Mais même pas.

D’Andrea Arnold. Avec Sasha Lane, Shia LaBeouf, Arielle Holmes. États-Unis/ Grande-Bretagne. Prochainement

 

 

 

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