Cannes 2016 : AQUARIUS / Critique

17-05-2016 - 13:35 - Par

Cannes 2016 : AQUARIUS

De Kleber Mendonça Filho. Sélection officielle, En Compétition.

Synopsis (officiel) : Clara, la soixantaine, ancienne critique musicale, est née dans un milieu bourgeois de Recife, au Brésil. Elle vit dans un immeuble singulier, l’Aquarius construit dans les années 40, sur la très huppée Avenida Boa Viagem qui longe l’océan. Un important promoteur a racheté tous les appartements mais elle, se refuse à vendre le sien. Elle va rentrer en guerre froide avec la société immobilière qui la harcèle. Très perturbée par cette tension, elle repense à sa vie, son passé, ceux qu’elle aime.

Voilà un film étrange dont on ne sait pas vraiment comment il tient aussi bien debout après 2H20. AQUARIUS navigue à vue et draine avec lui un spectateur balloté, inquiet, ému et pourtant in fine, un peu déçu. À vrai dire, on reste un peu perplexe devant ce film extrêmement brillant, très bien mené, joué à la perfection et qui, pourtant, laisse une impression de manque, comme si le film n’était pas terminé.

Kleber Mendonça Filho avait surpris tout le monde avec son premier long-métrage, LES BRUITS DE RECIFE, par son sens de la chronique et sa virtuosité picturale et symbolique. AQUARIUS élargit la brèche de belle manière : on y retrouve un goût prononcé pour la chronique, des moments de vie filmés avec une intensité singulière, une manière de faire de chaque instant un moment possible de bascule vers l’ailleurs et une façon de radiographier les conflits entre l’ancien et le présent avec une vraie subtilité tant dans le ton que dans le texte. Le portrait de cette femme de 60 ans, esseulée et combattive, dans cet immeuble en voie de destruction touche toujours juste. Sonia Braga est absolument sidérante de beauté, d’énergie et donne à cette héroïne ordinaire une dimension romanesque qui structure le film. Elle est quasi de tous les plans et l’on ne s’ennuie jamais à l’observer ainsi mener coûte que coûte sa vie. Mais on sent bien qu’il se trame des choses bien plus complexes dans les profondeurs d’AQUARIUS. Quelque part, Kleber Mendonça Filho vient d’inventer le film de maison hanté sans fantômes. Dans cet immeuble délabré où Clara a tous ses souvenirs, on imagine les fantômes qu’elle peut croiser, les souvenirs qui la guettent et la démangent. Mais le film résiste à basculer dans l’infra-monde. C’est toute l’étrangeté d’un cinéma qui fait le choix audacieux du naturalisme comme pure résonnance au fantastique. Mendonça nous laisse du bon côté de la barrière, nous faisant constamment sentir qu’il y a quelque chose d’invisible, quelque chose de bien plus puissant et traumatique qui se cache derrière les chansons, les danses, les fous rires et les colères de cette femme de 60 ans.

Quelque part, AQUARIUS est le plus beau portrait que l’on puisse faire de la résilience, cette manière qu’à l’être humain de surmonter et d’enfouir en lui ses épreuves. Les titres de chaque partie sont autant de signes qui racontent par l’absence ce que Clara a vécu. Ou plutôt survécu. Mais jamais le film ne bascule dans une démonstration de la peine et des épreuves. On ne voit que le corps meurtri, les rides, les sourires et les colères de Clara. Tout est ailleurs, lointain, chassé du présent. AQUARIUS, jusque dans ses tirades, est tout sauf un film passéiste. C’est toute la complexité d’un film sur les traces du passé qui refuse littéralement de s’y lover. Mais c’est hélas aussi un peu sa limite : AQUARIUS est trop théorique. Sa puissance réelle est à recomposer a posteriori. En faisant le choix de l’anecdotique comme rempart au mélodrame, Mendonça nous coupe de l’émotion que l’on imagine dévastatrice. Le film s’ouvre ainsi par une unique scène de flash-back, absolument fabuleuse. Peut-être une des scènes les plus belles, prenantes, émouvantes que l’on ait vues depuis longtemps. Quand le film arrive au présent, le sevrage est brutal et le spectateur n’espère qu’une chose : repartir en arrière. Evidemment, l’effet dramaturgique est puissant. Pas besoin d’explication, on comprend tout ce à quoi Clara s’accroche. Mais la frustration vient de cette incapacité du film à refermer la boucle. On espère, on attend, on en est sûr : le film va céder et ouvrir les vannes pour que l’on se noie sous l’émotion. Hélas, jamais AQUARIUS n’a le courage (ou la facilité) de remonter le temps. Le final, abrupt et un peu abscons, laisse perplexe par sa banalité. Trop prosaïque en l’état, trop métaphorique à l’arrivée (l’immeuble et le personnage ne ferait-il qu’un ?), AQUARIUS est un beau film dont la puissance profonde est peut-être trop elliptique, trop théorique pour nous offrir ce K-0 qu’on espérait tant.

De Kleber Mendonça Filho. Avec Sonia Braga, Humberto Carrão, Irandhir Santos. Brésil. 2h20. Sortie le 28 septembre

 

 

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