Cannes 2016 : SIERANEVADA / Critique

12-05-2016 - 08:03 - Par

Cannes 2016 : SIERANEVADA

De Cristi Puiu. Sélection officielle, En Compétition.

Synopsis (officiel) : Quelque part à Bucarest, trois jours après l’attentat contre Charlie Hebdo et quarante jours après la mort de son père, Lary – 40 ans, docteur en médicine – va passer son samedi au sein de la famille réunie à l’occasion de la commémoration du défunt. L’évènement, pourtant, ne se déroule pas comme prévu. Les débats sont vifs, les avis divergent. Forcé à affronter ses peurs et son passé et contraint de reconsidérer la place qu’il occupe à l’intérieur de la famille, Lary sera conduit à dire sa part de vérité.

Vous haïssez les réunions de famille ? Pas de problème, Cristi Puiu offre avec SIERANEVADA une cathartis ultime. Soit près de 3H quasi enfermé dans un appartement de la classe moyenne roumaine, en pleine réunion familiale avec ses crises de nerfs, ses crises de larmes, ses moments de flottements et ses pics dramatiques. L’expérience proposée par Puiu tient de la véritable gageure auteuriste : un sujet mince et pourtant foisonnant, traité via un dispositif radical. Le résultat n’en est que plus clivant.

Tout dépend, en fait, de sa capacité à supporter et à se laisser porter par un cinéma qui refuse de trancher entre l’ostentation d’un dispositif et l’étirement naturaliste des situations. Quelque part entre le voyeurisme de la série STRIP TEASE, l’hystérie du cinéma de Kechiche et une sorte de vaudeville moderne à la Bacri-Jaoui, SIERANEVADA prend le spectateur à témoin d’une cocotte-minute familiale qui n’explosera jamais vraiment. La scène d’introduction donne d’ailleurs le ton immédiatement. Une caméra quasi immobile capte une scène de loin dont on ne perçoit les enjeux que par bribes. Le brouhaha de la ville, les allées et venues des voitures se superposent à la situation et c’est au spectateur de se laisser happer par cet hyper immersion qui peut paraître aussi puissante qu’artificielle. Chez Puiu, la caméra est quasiment un personnage de plus dans cette famille. Une caméra intrusive mais gênée, qui attrape des morceaux de conversations, reste à l’arrière des voitures, dans l’encablure des portes, comme si elle n’avait pas le droit d’être là. Tout ceci donne l’impression d’un film quasi ouvert, comme si la narration n’était construite que par le hasard du focus de la caméra à tel ou tel endroit. Une volonté d’embrasser le « tout » pour faire émerger des parties. Par des panoramiques rotatifs répétitifs, le réalisateur insiste lourdement sur le dispositif quasi aléatoire de la mise en scène. Comme une vigie pour observer la tempête, ce vestibule d’appartement est le carrefour de toutes les colères, de toutes les discussions, des entrées et des sorties, que la caméra de Puiu semble capter sur le vif.

Le paradoxe vient que cette illusion du réel – cette manière de faire du cinéma réalité comme on pense la télé réalité – n’est possible que par une mise en scène très chorégraphique, quasi mécanique qui finit par faire littéralement tourner en rond le film et le spectateur. Cette redondance du dispositif de la mise en scène est inévitablement liée à celle du propos. SIERANEVADA orchestre les mesquineries, les névroses et les secrets d’une tribu avec un ton singulier qui finit par se retourner contre le film. Il y a une vraie méchanceté, une dimension satirique évidente qui tire le film vers une sorte de comédie, avec ses caricatures, ses bons mots et ses moments de bravoure. Dans ses meilleurs moments, SIERANEVADA touche à une forme d’absurde, de « Désert des Tartares » du film de repas qui fait un bien fou. Le déjeuner-dîner constamment repoussé devient une arlésienne qui structure le film. On se surprend à rire des multiples embûches et psychodrames qui retardent le moment de se mettre à table. Mais ce systématisme comique est hélas un peu trop dilué dans des digressions redondantes. Puiu étire un peu trop la satire, veut trop faire de ses caricatures (le complotiste, l’anti-communiste, la jeune rebelle, le frère trop sérieux) des débats moraux, politiques et philosophiques sur la société contemporaine. Si l’inclusion du contexte actuel (Charlie Hebdo, le 11 septembre, Obama) renforce le vérisme du film et permet de s’y inclure rapidement, il a aussi un effet repoussoir qui transforme ses digressions en dissertations verbeuses. Surtout, le ton de la caricature vire parfois à l’aigreur, notamment auprès des personnages féminins quasi tous insupportables. Si le « héros » Lary est plus un observateur qu’autre chose, le film en fait aussi un personnage accablé, victime de sa femme, sa mère, sa sœur. La charge est un peu lourde et le film y perd en élégance.

C’est toute la complexité et le difficile équilibre d’un film épuisant qui cherche en permanence à reprendre son souffle, à s’accrocher à des effets, des tics de scénarios et de mise en scène bien trop visibles pour ne pas finir par agacer. Mais si SIERANEVA tourne un peu en rond, il le fait plutôt bien.

De Cristi Puiu. Avec Mimi Branescu, Bogdan Dumitrache, Andi Vasluianu. Roumanie. Prochainement

 

 

 

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