CONJURING 2 : Interview de James Wan

29-06-2016 - 15:07 - Par

CONJURING 2 : Interview de James Wan

En 2004, il déboulait dans le cinéma sans un sou mais avec des idées, des plus saugrenues aux plus géniales. Depuis SAW, James Wan, 39 ans aujourd’hui, aligne les films d’horreur d’une qualité quasi-inattaquable. Des INSIDIOUS pour l’écurie Jason Blum aux CONJURING pour Warner en passant par le cinéma mainstream de FAST & FURIOUS 7 et bientôt AQUAMAN, il a imposé sa vision, jusqu’à être l’un des réalisateurs les plus convoités d’Hollywood. Entretien avec un homme très recherché.

 

Cet entretien a été publié au préalable dans Cinemateaser n°55 daté juin 2016

 

Conjuring-Pic1Pouvez-vous nous parler de la manière dont vous adaptez votre style visuel à l’époque à laquelle se déroule l’histoire que vous racontez ?
Je voulais vraiment capturer la saveur et la sensibilité de la mise en scène des films d’horreur des 70’s. Les CONJURING ne sont pas des films d’époque uniquement dans leur production design ou dans leurs costumes et leurs coiffures. Il nous fallait nous replonger dans la manière dont le cinéma était fait à l’époque. On prend du temps pour raconter l’histoire, pour développer les personnages… Il y a un rythme tellement différent de celui d’aujourd’hui. Une manière de bouger la caméra différente, aussi. Et en même temps, il fallait toujours garder en mémoire que je faisais ce film pour un public moderne, un public d’aujourd’hui. C’est un énorme facteur.

Comment vous expliquez qu’un film d’horreur d’époque a intrinsèquement de l’impact ? Pensez-vous qu’il y ait quelque chose d’anxiogène dans l’esthétique, les mœurs ou dans la politique des 70’s ou au contraire, est- ce le cinéma qui a rendu cette époque flippante ?
(Rires.) Je crois que c’est un peu des deux. Les films qu’on a vus de cette époque ont clairement complexifié cette période. Vous savez, en plus, mes films sont inspirés de gens qui ont réellement existé et mes histoires sont donc historiquement précises. Il y a donc quelque chose d’authentique et de réaliste, qui agit comme un accélérateur de peur.

Diriez-vous que vous utilisez ce que le public connaît des codes des films d’horreur de cette époque-là pour le manipuler ?
Tout à fait. Le public d’aujourd’hui est assez sophistiqué et il a grandi avec de nombreux excellents films. Ces vingt dernières années, les ados ont pu voir davantage de bons films que les ados des deux décennies d’avant. La technologie a fait un bond inouï et aujourd’hui les spectateurs en ont une telle maîtrise… Le boulot d’un réalisateur, c’est en grande partie se rendre compte d’à quel point son public est éduqué. Je trouve ça marrant, moi, d’analyser ce que les gens connaissent et pensent connaître, qu’il s’agisse des tropismes ou du style, et de les surprendre en leur prouvant le contraire. Je pense que c’est ça qui plaît dans mes films, c’est que j’essaie de les rendre un peu imprévisibles.

Wan-Exergue1Lorsqu’on avait parlé à John Leonetti pour ANNABELLE, il nous avait dit que, malgré son amour de la pellicule, le numérique était crucial au genre horreur, car la caméra pouvait capturer l’obscurité comme jamais auparavant. Vous qui filmez si bien le noir, travaillez-vous davantage l’obscurité sur le plateau ou en post-production ?
Dans CONJURING 2, j’avais quelques nœuds dramatiques absolument cruciaux et qui impliquaient des personnages scrutant le noir. Et vous n’êtes pas sûr qu’il y ait quelque chose dans cette obscurité, ils peuvent très bien délirer tout seul. Ça, ce sont des trucs d’horreur que j’adore faire ! Parce que vous projetez dans cette obscurité votre propre terreur. Là, la photographie est capitale. En fait, on ne filme jamais le noir complet sur tout l’écran. Le noir ne marche que s’il y a, pas loin, une zone éclairée qui peut détourner l’attention du public. C’est un peu comme un tour de magie. Dans un tour de magie, on parle souvent de fumée, de réflexion… Moi, la manière dont je construis mes scènes d’horreur creepy repose sur la prestidigitation : je leur montre quelque chose avec une main, pendant que de l’autre, je prépare mon coup. Pour répondre à votre question, c’est autant
un travail sur le plateau qu’en postproduction. Je filme le tour de magie et je l’affine en postproduction. La colorisation, c’est quelque chose que je prends aussi très au sérieux. La direction de la photographie est une part énorme de la réalisation de mes films. Conjointement avec le montage. Comment tourner ? Et comment monter ? Ce sont deux points absolument cruciaux pour moi. Et pour le genre horreur, bien sûr. Tout le suspense repose sur la manière dont on bouge une caméra et comment on agencera les plans au final.

Sur CONJURING 2, c’est la première fois que vous travaillez avec le chef opérateur, Don Burgess. Or Don est un collaborateur célèbre de Robert Zemeckis, qui est un réalisateur populaire mais surtout un visionnaire en matière de technologie. Qu’a apporté Don à votre film d’horreur ?
D’abord, c’est un mec super. Ensuite, techniquement, c’est un talent hors-norme. Comme vous le disiez, Don est à l’origine de certains des mouvements de caméra les plus inouïs de l’Histoire du cinéma. Avec quelqu’un comme lui à mes côtés, j’ai pu imaginer les angles les plus fous et les mouvements les plus dingues, rien ne lui fait peur ! Il est toujours partant et plus c’est tordu, plus il cherche des solutions ! (Rires.) Ça a été génial de travailler avec lui. En plus, s’il a gardé l’esprit stylistique du premier CONJURING, il a apporté sa propre saveur au film. Ce qu’il fait est vraiment joli.

Conjuring-Pic2Le silence est crucial dans un film d’horreur. À quel point le silence dans les films d’horreur a-t-il changé en 40 ans ?
À l’époque, les spectateurs étaient plus patients. Aujourd’hui, en partie en raison des films avec lesquels ils ont grandi, les jeunes le sont beaucoup moins. Il y a aussi la télé, YouTube, toute la culture web… Le public jeune veut des choses plus rapides et plus… ‘in your face’. J’ai un copain qui dit toujours qu’aujourd’hui, si les personnages s’arrêtent de parler pendant un film, les ados sortiront leur portable. Pour un réalisateur, ça craint ! Vous voulez éviter que les gens se déconnectent de votre film alors il faut toujours trouver un équilibre. Il ne faut pas sacrifier les moments de calme, parce que le calme met la chair de poule. Si l’on est capable d’offrir tous les éléments hyper fun pour lesquels les gens viennent voir votre film alors ils accepteront le silence aussi.

Vous travaillez beaucoup sur l’immobilité et l’élégance dans votre franchise CONJURING et en même temps, vous avez fait tout l’inverse dans FAST & FURIOUS 7, qui est un film de furie et de profusion. Qu’avez-vous utilisé de FF7 sur CONJURING 2 ?

J’aime penser qu’on apprend à chaque film et que ce que j’apprends, je l’utilise dans mes travaux d’après. C’est clair que nous sommes dans deux genres et deux fabrications très différents. Plus le budget est gros, plus, concernant l’histoire, vous devez parfois y aller à l’instinct. J’ai appris à bâtir une histoire un peu au fur et à mesure. Vous n’avez pas le choix. Il faut se lancer et aller vite. Et j’ai aussi beaucoup appris à installer des choses qui paieront plus tard dans le film. FF7 m’a appris des choses sur ce que je savais déjà… En fait, il a consolidé certaines de mes connaissances… Et vous savez ce qu’il m’a appris ? Il m’a appris à filmer des gens qui conduisent des bagnoles ! (Rires.) Je suis devenu maître en la matière.

Wan-Exergue2Vous aviez dit qu’après INSIDIOUS 2, vous en auriez fini avec le cinéma d’horreur. Qu’est-ce qui vous a motivé à y revenir pour CONJURING 2 ?
FAST & FURIOUS 7 m’a vraiment permis de faire une pause car avant cela, j’avais enchaîné trois ou quatre films d’horreur d’affilée. Ça finit par vous fatiguer, de faire la même chose encore et encore. Or, à chaque film, j’essaie de trouver quelque chose de différent qui me permet de rester diverti par mon métier. Quand FAST & FURIOUS 7 est arrivé, j’ai pu m’essayer à de la nouveauté, j’ai pu ‘nettoyer’ ma palette. J’ai pu enfin exprimer mon envie de faire du gros cinéma d’action. Des mouvements de caméra absurdes, de la vitesse d’exécution… C’est comme ça que ces films sont faits. Après, je me suis dit : ‘Tiens, pourquoi pas faire un film où je peux tenir la caméra au moins trois minutes d’affilée ?’. Un truc lent. (Rires.) Il y a quelque chose de très libérateur à faire un film d’horreur, car le calme revient. Et puis, je savais aussi que si je faisais CONJURING 2, j’aurais un contrôle presque total sur le film. Et ça, c’est assez agréable pour un réalisateur.

Conjuring-Pic3Vous avez montré à l’industrie que vous pouviez faire d’excellents films d’horreur pour des petits budgets. Maintenant, elle considère que les films d’horreur ne doivent plus coûter cher. Quand nous avions parlé à Alexandre Aja, il nous avait dit en riant que vous aviez – je cite – ‘mis dans la merde’ les réalisateurs de genre.
(Rires.)

Vous avez l’impression que l’économie du cinéma d’horreur est sous pression ?

Vous savez quoi, j’ai deux films qui sortent. CONJURING 2, que j’ai réalisé, et qui est un budget conséquent. Et un mois plus tard, j’ai DANS LE NOIR, que je produis et qui a été fait dans les conditions avec lesquelles j’ai fait SAW ou INSIDIOUS. Je crois qu’il y a de la place pour les deux. Je ne pense pas que vous pouvez faire les CONJURING avec le budget d’ANNABELLE ou de SAW ou de DANS LE NOIR, car ils ont besoin d’argent. Pour le production design notamment. Ça coûte cher de faire les choses bien. Il faut prendre soin des films qu’on fait, avec une belle production value. Certains films méritent plus
qu’une bonne histoire.

 

CONJURING 2
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