Dérangeant et virtuose, profondément moderne et actuel : NOCTURAMA est une expérience puissante de cinéma.
Difficile de ne pas frissonner, voire d’être insupporté dans le contexte actuel, par un film qui suit pendant deux heures le parcours de jeunes gens sans lien qui posent des bombes dans Paris. Cette acuité, ce lien avec la réalité, ne doivent pas pour autant résumer le film. Ce n’est pas tant par son sujet et son propos politique sur la jeunesse que Bertrand Bonello frappe juste. Mais par la puissance visuelle et formelle de ce cinéma moderne, qui capture la capitale et sa vie comme aucun autre. Froid et viscéral, NOCTURAMA est une expérience anxiogène et poétique qui dépasse le strict cadre du « fait divers » ou du fait de société pour atteindre une puissance fictionnelle et esthétique rare, synthétisant notre époque. Intelligemment, Bonello filme l’action plutôt que le discours. Dans une première partie sidérante, il orchestre dans Paris un ballet quasi muet de corps qui se croisent, s’échangent des choses, en jettent d’autres, sans même que l’on en comprenne vraiment les enjeux. Seule la caméra nerveuse et pourtant aérienne saisit une urgence, un danger qui comprime le spectateur. Ces jeunes gens très banals qui serpentent sous nos yeux font quelque chose de grave. En quelque sorte, le réalisateur retrouve ici la grâce tragique et cette poétisation du quotidien qu’avait sublimées Gus Van Sant dans ELEPHANT. Moins contemplatif mais tout aussi moderne dans cette manière de substituer le langage classique à une forme de dialogue corporel ou technologique, le film avance vers une seconde partie en huis clos. Dans un grand magasin déserté, Bonello passe alors aux doutes, à l’errance et aux confrontations politiques par un dispositif quasi théâtral et métaphorique, non sans rappeler la puissance du cinéma de Fassbinder (LA TROISIÈME GÉNÉRATION, sur une jeunesse allemande terroriste à la fin des 70’s). Si le film perd un peu en grâce à force de mots, son mystère et sa puissance restent intacts. Scènes de danse, de shopping ou d’épuisement: il orchestre un nouveau quotidien qui touche à l’onirisme. La nuit de NOCTURAMA engloutit les personnages dans une caverne merveilleuse qui sera aussi un tombeau. La manière dont Bonello réussit à tenir le groupe, à filmer ce lieu clos comme un espace multiple offert à toutes les rêveries, et dans le même temps à y infiltrer par le biais de la télévision la menace de la réalité extérieure, tient du tour de force. La conclusion du film et son basculement dans le cinéma de genre froid et violent finit de nous terrasser. On sort tremblant de cette expérience viscérale, miroir effrayant d’un monde qui finira par s’autodétruire.
De Bertrand Bonello. Avec Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Manal Issa. France. 2h10. Sortie le 31 août
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