Tour de force technique, splendeur esthétique, justesse dramaturgie et émotionnelle : pour sa première réalisation, le patron de Laika, Travis Knight, signe le plus ambitieux et le meilleur film de son jeune studio.
Sur une frêle barque, une jeune femme affronte une tempête, protégeant des flots son jeune enfant. « Si vous devez cligner des yeux, faites-le maintenant. Faites attention à tout ce que vous voyez et entendez », annonce une voix-off dès ces premiers instants de KUBO ET L’ARMURE MAGIQUE. Un avertissement idoine : la première réalisation de Travis Knight s’avère un tel ravissement esthétique, une telle aventure des sens et des sentiments, qu’en manquer le moindre photogramme serait du gâchis. Dans un Japon féodal fantasmé, Kubo (Art Parkinson) vit seul avec sa mère malade dans une grotte isolée. Chaque jour, il se rend sur la place du village voisin et, muni de sa petite guitare et de feuilles d’origami auxquelles il donne vie comme par magie, il offre aux habitants un fantastique conte – celui de son père, samouraï de légende qu’il n’a pas connu. Un jour, Kubo convoque malgré lui un terrible « fantôme du passé » qui décime le village et se lance à ses trousses. Il est obligé de fuir aux côtés de deux protecteurs incongrus : Monkey (Charlize Theron) et Beetle (Matthew McConaughey). De CORALINE aux BOXTROLLS en passant par L’ÉTRANGE POUVOIR DE NORMAN, on a souvent loué l’iconoclasme des studios Laika, fervents défenseurs de l’animation image par image et champions des personnages décalés, des univers de guingois où se mêlent noirceur, étrangeté et sentimentalisme. Si KUBO ET L’ARMURE MAGIQUE ne dédit pas ce credo, il opère la mue de Laika. Symbole presque fortuit de ce changement dans la continuité : KUBO est la première réalisation du fondateur et patron du studio, Travis Knight – qui, jusqu’alors, opérait comme « simple » animateur. Le PDG n’a cédé ni à la paresse ni à la facilité puisque KUBO s’impose comme le plus ambitieux des projets de Laika. Mais aussi – et peut-être surtout – comme le plus direct et humble dans sa volonté d’éblouir. Là où les précédents films cherchaient à casser les codes de l’animation américaine actuelle, à sortir des sentiers battus, quitte à perdre parfois en efficacité – comme dans le premier acte des BOXTROLLS –, KUBO prend le parti d’une narration simple, universelle, reprenant à son compte le monomythe campbellien. Knight s’assure ainsi une mécanique narrative bien huilée, plus évidente, plus efficace, très rythmée, où chaque séquence a son rôle et du sens, s’imbriquant parfaitement dans la précédente et la suivante. Peut-être plus accessible a priori, KUBO ET L’ARMURE MAGIQUE ne fait néanmoins aucune concession sur la complexité, abordant via un flot ininterrompu d’émotions déchirantes la manière dont se construit l’identité de Kubo – qu’elle soit intime, familiale, sentimentale, artistique. Splendeur parcourue de séquences délirantes (l’intro, l’arrivée des sorcières, l’errance de Kubo sous l’eau, le combat final), dont la générosité et la beauté ne disparaissent jamais derrière le tour de force technique (la fluidité de l’animation, la richesse des textures et des décors, la justesse minimaliste du character design), KUBO ET L’ARMURE MAGIQUE est parfait jusque dans le score de Dario Marianelli et la chanson de générique – « While My Guitar Gently Weeps » des Beatles repris par Regina Spektor. Animateur de feuilles d’origami et conteur hors-pair, Kubo apparaît comme la personnification des artistes de Laika. Une déclaration d’amour de Knight à son Art et à son studio qui permet à celui-ci de s’épanouir définitivement.
De Travis Knight. Avec les voix originales de Art Parkinson, Charlize Theron, Matthew McConaughey. États-Unis. 1h41. Sortie le 21 septembre
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