Vivre des allocations, c’est d’abord survivre. La rencontre entre une mère célibataire et un menuisier sans boulot, par Ken Loach.
Dans le nouveau film de Ken Loach, Daniel Blake (incarné par Dave Johns), un menuisier de 59 ans dont la maladie lui impose de ne plus travailler, remonte une rue de Newcastle, la tête préoccupée par la paperasse qui le sépare d’une allocation chômage ; derrière lui, sur l’abribus, s’affiche, floue mais reconnaissable même en arrière-arrière plan, la publicité très « Sauvage de Christian Dior » à laquelle Johnny Depp prête son visage. Un plan qui entérine le paradoxe d’un cinéaste venant tous les deux ans asséner son cinéma politique très à gauche dans l’un des endroits les plus glamour du monde, le Festival de Cannes. Même si cette fois, il est reparti avec la Palme d’Or remise des mains de George Miller, sur la Croisette, son cinéma est qualifié par la presse de facile, cousu de fil blanc. On attaque son pathos. Faire ce procès à un réalisateur qui depuis des décennies tourne avec peu de moyens et des acteurs amateurs (très souvent) des films énervés et sociaux frise le ridicule. Car face à l’absurdité du monde actuel, à la déshumanisation galopante, au capitalisme roi, aux impératifs de rentabilité du système social, Ken Loach ne peut rien opposer de plus que du cinéma comme un cri du cœur, comme un ultimatum. S’il doit, pour exprimer sa colère et celle des gens, utiliser des moyens presque manipulateurs ou un ton légèrement passéiste, il le fera. Ken Loach n’est pas le genre d’auteurs à passer par la métaphore pour plaire aux journalistes les plus poètes. Il accomplit régulièrement, par le biais de la comédie, du drame ou du film d’époque, son rôle d’objecteur de conscience devant un parterre bien sapé. À l’instar de Daniel Blake taggant les murs du Pôle Emploi local avec un message sans équivoque, Ken Loach raconte sans détour ce qu’est devenue la société britannique – et toutes les sociétés actuelles, il ne faut pas se leurrer : une machine humiliante dont il est presque impossible de sortir debout. Son héros a parfois le sens de la mise en scène dans son combat, remportant l’adhésion de ceux qui le côtoient ; Ken Loach opte, lui, pour une forme visuelle assez précaire – comme la plupart de ses récits contemporains –, presque documentaire. MOI, DANIEL BLAKE n’est peut-être pas du grand cinéma mais c’est un grand film. Il plonge tête baissée dans le désespoir quotidien, pèche par trop de sincérité voire de naïveté, fait de ceux qui suivent les règles et les lois les vilains de son récit. Mais de ces « gens de seconde zone », cabossés si ce n’est abattus par un système débilitant, il tire un portrait citoyen. Cousu de fil blanc peut-être mais vivant.
De Ken Loach. Avec Dave Johns, Hayley Squires, Micky McGregor. Grande-Bretagne. 1h39. Sortie le 26 octobre
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