Interview/Justin Hurwitz, l’homme derrière LA LA LAND

25-01-2017 - 09:51 - Par

Interview / Justin Hurwitz, l’homme derrière LA LA LAND

Si vous ne pouvez pas vous sortir LA LA LAND de la tête, c’est surtout grâce à lui. Ambitieuse et pourtant immédiate, lyrique et jazzy, profondément libre et audacieuse, la musique composée par Justin Hurwitz, fidèle acolyte de Damien Chazelle, est le cœur battant de cette comédie musicale phénomène. Et si le véritable virtuose, c’était lui ?

 

Cet entretien a été publié au préalable dans le magazine Cinemateaser n°61 daté février 2017

 

LaLaLand-Pic2Est-ce naturel et évident pour vous d’expliquer et de commenter votre travail de compositeur ?
Naturel oui, évident beaucoup moins. Je fais ce métier pour communiquer des émotions. Parler de ma musique, l’expliquer, c’est la continuité de mon travail. Mais c’est difficile de se faire comprendre. La musique, plus que le cinéma encore, est un art très technique avec un vocabulaire très précis. Majoritairement, et c’est bien normal, les gens ont un rapport très émotionnel, très immédiat à la musique. C’est très sain parce que ça nous oblige, nous compositeurs, à revenir à l’essence de notre travail et à ne pas trop l’intellectualiser. Apprendre à trouver les bons mots, c’est finalement comme apprendre à trouver la bonne mélodie.

LA LA LAND est couvert de louanges méritées et pourrait bien établir un record de prix cette année. Mais surtout, la musique et les chansons sont en train de devenir de véritables phénomènes. Comment définiriez-vous votre travail sur le film ?
Il y a le score d’un côté et les chansons de l’autre. C’est un travail très différent. La musique des chansons a une forte dimension narrative, elle doit être en accord avec les émotions des personnages à l’instant où elle apparaît. C’est une composition plus intellectuelle, on essaie de coller à un sujet, de trouver des équivalences entre une situation et une mélodie. Le score, lui, a quelque chose de plus métaphorique, c’est ma façon de transformer en mélodie mon ressenti face au film. Je suis comme un spectateur privilégié, une sorte d’ambassadeur du public qui vient souligner des émotions, mettre en valeur la performance des acteurs ou la beauté de la mise en scène et des décors. Sur LA LA LAND, j’étais donc à la fois à l’origine du film avec les chansons mais aussi à la toute fin, avec le score.

Vous aviez déjà fait avec Damien Chazelle une comédie musicale (GUY AND MADELINE ON A PARK BENCH*), puis un film sur la musique (WHIPLASH). Votre travail était-il différent ?

Le travail sur une comédie musicale est beaucoup plus intense en termes d’écriture. Mais les films de Damien sont tellement musicaux que j’ai l’impression que mon implication a été la même à chaque fois. On fait un gros travail en amont sur le rythme du film, sur la sonorité qu’il va avoir. Sur GUY AND MADELINE et LA LA LAND, on a créé et enregistré les chansons en amont pour permettre le playback pour le tournage. Donc on avait quelque chose de plus ‘figé’. Sur WHIPLASH, ça tient beaucoup plus dans les discussions que j’avais avec Damien sur ce qu’il imaginait du film, le rythme et la tension qu’il voulait créer. On a travaillé presque six ans sur LA LA LAND, entrecoupé évidemment par le tournage de WHIPLASH. Mais je crois avoir écrit et composé pendant une année entière pour le film avant même que le tournage ne commence. Ensuite, j’étais aussi sur le plateau. C’est inhabituel. Normalement, le compositeur disparaît. Mais Damien voulait que je sois là pour garder le rythme, diriger les comédiens qui chantaient en live et garder une oreille sur tout. Puis la post-production a commencé et c’était à nouveau un truc hors normes. Généralement, on utilise des ‘temp-tracks’, des musiques d’autres films ou des musiques classiques, pour fabriquer le premier montage. Le compositeur arrive à la fin. Avec LA LA LAND c’était impossible, ça aurait été ridicule. La musique a une telle importance qu’il a fallu créer le score sur des images brutes. J’ai travaillé non-stop pendant 8 mois en même temps que la post-production.

GUY AND MADELINE était une comédie musicale très indépendante, sans star, ni budget. LA LA LAND est une grosse production, très attendue, mainstream, avec un beau casting. Vous avez senti une vraie différence dans votre travail de composition ?
Je commence toujours au piano, je cherche des mélodies et j’essaie d’être au plus proche du scénario. Puis on orchestre, on rajoute des voix et on enregistre. Après, par contre, sur l’ambition et les enjeux de la musique, c’est très différent. Si l’image change, la musique change. GUY AND MADELINE est un film en Noir & Blanc 16mm, LA LA LAND est un grand spectacle plein de couleurs en écran large. Forcément, je dois en tenir compte. Le budget a évidemment changé beaucoup de choses. Quand on a fait GUY AND MADELINE, c’était notre premier film. On a fait ça dans notre coin, avec nos moyens. Là, avec LA LA LAND, on m’offrait beaucoup plus de possibilités. On s’adresse à un public plus large donc il a fallu ouvrir notre manière de travailler. Ça ne veut pas dire qu’on cherche à plaire absolument. Les enjeux sont plus importants. Sur GUY AND MADELINE, j’avais eu le droit à quatre heures d’enregistrement et d’orchestration pour la musique. C’était déjà incroyable pour moi. Sur LA LA LAND, ça a duré des mois…

On a quand même l’impression que GUY AND MADELINE est un film plus intime, plus personnel que LA LA LAND…
Oui, c’est évident. On a fait GUY AND MADELINE à deux avec quelques amis, juste à la fin de nos études. Avec LA LA LAND, on a dû composer avec le studio, les producteurs, plein d’intermédiaires, des gens importants dont l’opinion comptait. C’est une autre expérience. Mais par son sujet, LA LA LAND reste un film très personnel pour Damien et moi. La manière de faire a changé mais ce que le film raconte est aussi intime que ce que racontait GUY AND MADELINE.

Hurwitz-ExergueOn a l’impression que vous fonctionnez comme un duo. Votre musique et sa mise en scène sont étroitement liées, quasi indissociables…

L’idée de duo me plaît bien, oui. Mais ce n’est pas nouveau. Tous les compositeurs que j’aime ont eu une relation privilégiée avec un réalisateur. Je crois que ça fait partie de l’essence de ce métier. La musique et l’image qui dialoguent ensemble. C’est peut-être encore plus singulier entre Damien et moi parce que ses trois films sont construits autour de la musique. Mais ce sera la même chose avec son prochain film sur Neil Armstrong. Damien va me parler très tôt de musique. Il aime savoir avant le tournage ce que je peux lui proposer. Et moi, ça me permet de travailler sur la durée, d’être beaucoup plus proche du film. La façon dont Damien m’inclut dans ses projets est vraiment très agréable. On sent que la musique, quel que soit le thème du film ou sa force, fait partie intégrante de son imaginaire et de son métier de réalisateur.

Le choix d’Emma Stone et Ryan Gosling pour interpréter LA LA LAND a-t-il eu une influence sur votre travail ?

Quand Emma et Ryan sont arrivés sur le projet, mon travail de composition était déjà terminé. Ils ont plutôt influencé l’écriture des paroles des chansons. Les deux auteurs, Benj Pasek et Justin Paul, ont vraiment essayé de coller à ce qu’ils dégageaient. Notamment pour leur duo sur ‘Lovely Night’ qu’ils ont totalement réécrit pour que ça marche mieux avec le phrasé et le timbre de Emma et Ryan. L’implication d’Emma et Ryan est une des forces du film. J’ai beaucoup répété avec eux et on a tout de suite compris qu’il fallait qu’ils chantent en direct pour certains morceaux. L’émotion devait être plus forte que la perfection technique. Quand Emma chante ‘The Fools who dream’, c’est le frisson de sa voix qui compte. Je les ai donc accompagnés sur le tournage pour qu’ils se sentent à l’aise avec la musique. C’était incroyable, très rare, de pouvoir partager et capter de purs moments de musique sur un plateau. Regarder Emma et Ryan chanter ‘City of Stars’ sur le plateau, c’était déjà être au cinéma.

La complexité esthétique de LA LA LAND, naviguant entre hommage au cinéma classique (UN AMÉRICAIN À PARIS, CHANTONS SOUS LA PLUIE), évocation de films modernes (LES DEMOISELLES DE ROCHEFORT, COUP DE CŒUR) et un rythme très contemporain, ne fonctionne-t-elle pas uniquement par la complexité de votre musique qui lie entre elles des influences très variées comme la musique classique, Broadway, le jazz et la pop?
C’est un tout. Vous ne pouvez pas dissocier la musique et la mise en scène. C’est tout le génie de Damien. La beauté et le romantisme des films de Jacques Demy/Michel Legrand sont très importants pour nous, tout comme l’énergie des grandes comédies musicales classiques de la MGM type TOUS EN SCÈNE ! ou CHANTONS SOUS LA PLUIE, la virtuosité du duo Fred Astaire/Ginger Rogers, tout comme la musique très lyrique et très précise du compositeur classique Tchaïkovski. Ce sont plus que des inspirations d’ailleurs. Ce sont des œuvres avec lesquelles nous avons grandi. C’est en nous. Quand on s’est mis à travailler sur LA LA LAND, on n’a pas eu besoin de se replonger dedans ou de faire un travail précis de citation. C’était naturel, évident. C’est ce qui fait, je crois, que le film et la musique ne sont pas des imitations mais bien des hommages à toutes ces choses qu’on aime avec Damien. C’est beaucoup plus intime et personnel qu’un simple exercice de copie. J’aime bien que vous souligniez le fait que LA LA LAND est inclassable. Classique, moderne, contemporain, tout se mélange parce qu’ici, tout est le fruit de notre culture et de notre envie de la partager. Vous savez, ce qui m’a le plus guidé durant l’écriture des morceaux, ce sont des images de Los Angeles. On a tort de penser que les réalisateurs regardent des films pour mettre en scène et que les musiciens écoutent des morceaux pour composer. C’est tout l’inverse. Moi je me nourris de tous les supports visuels possibles et j’essaie de transposer ce qu’ils m’évoquent dans mon langage musical. Damien fait l’inverse.

LaLaLand-Pic1Le thème de Mia et Sebastian, le morceau central du film, est un mélange singulier entre une partition très jazz, très simple, et puis une soudaine envolée lyrique, très proche du symphonisme classique. Pourquoi ce choix inattendu ?
C’est parti d’une idée simple : Sebastian est un pianiste de jazz. Mais je ne pouvais pas me contenter de ça. Il fallait que ce thème central soit à l’image du film, du couple. C’est ce qui a motivé l’écriture, je crois. Associer les contraires, les mélanger, comme un couple qui se cherche et finit par céder l’un à l’autre. Le morceau part de Sebastian, le jazz marque bien son côté séducteur maladroit et petit à petit, on est emporté par ses émotions, la surprise, la joie, l’amour… La musique se libère et se transforme. Le romantisme emporte tout.

À l’image du film, la musique de LA LA LAND réussit un pari impossible : être à la fois extrêmement immédiate, populaire, entraînante et pourtant toujours très surprenante et ambitieuse… Comment on concilie l’exigence artistique, la recherche formelle et le souci du public ?
C’est notre obsession permanente avec Damien. Quand on fait une comédie musicale, on veut que les gens sortent avec des airs et des images en tête. Ce n’est pas qu’on cherche à être populaire, on veut marquer les esprits. Il y a presque un petit côté ‘show off’, démonstratif, qui fait partie du genre. Si on avait fait un film ‘très classique’ dans la mise en scène et la musique, le public n’aurait pas réagi. Il fallait secouer les choses, les reformuler, se les réapproprier. C’est une démarche d’ailleurs plus inconsciente qu’autre chose. On ne fait pas des films et de la musique au passé. Quand on crée, on est obsédés par le présent. La pop music domine tout aujourd’hui. Elle fonctionne sur des mélodies très immédiates, montées en boucle. J’ai repris ce côté entraînant mais je l’ai déconstruit. Plus de boucle, plus de refrain mais quelque chose de plus mouvant, d’instable qui se calque sur des montées et des chutes vertigineuses d’émotion. Un peu à la manière des Beach Boys en fait. C’est une musique qui trace un chemin et qui vous invite à la suivre. L’important c’est que l’écoute ne soit pas passive, que la musique vous étonne, vous questionne, vous fasse voyager ou vous abandonne.

 

LA LA LAND, de Damien Chazelle
Lire notre critique

* Il s’agit du premier film de Damien Chazelle sorti en 2009. Une comédie musicale indé et jazzy, tournée en 16mm Noir & Blanc dans les rues de Boston, sur l’histoire d’amour impossible entre un jazzman et une jeune fille introvertie. Magnifique et fragile, le film est un évident brouillon de LA LA LAND que certains trouveront même plus émouvant et plus sincère. Le film reste inédit en France et est disponible en DVD Z1 aux États-Unis.

 

 

 

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