Cannes 2017 : 120 BATTEMENTS PAR MINUTE / Critique

20-05-2017 - 16:12 - Par

Cannes 2017 : 120 BATTEMENTS PAR MINUTE

De Robin Campillo. Sélection officielle, compétition.

Synopsis officiel : Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d’Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l’indifférence générale. Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être bouleversé par la radicalité de Sean.

L’ambition de Robin Campillo était grande, son film l’est encore plus. Difficile de réfréner son enthousiasme mais surtout ses larmes à l’issue de ces 2H20 intenses, remuantes et profondément déchirantes. Film de lutte, film de bande, histoire d’amour tragique, 120 BATTEMENTS PAR MINUTE n’a peur de rien. Ni du romanesque, ni du politique, ni même d’en faire du cinéma. À l’image du récent NOCTURAMA de Bertrand Bonello, Campillo radiographie l’engagement et la lutte avec une visée presque plus philosophique, viscérale que véritablement sociologique. La manière dont Campillo fait circuler la parole dans de longues joutes oratoires, la façon dont il découpe et cadre les actions du groupuscule, capturent une énergie vivace, un mouvement permanent qui donne au film une énergie contagieuse. C’est peut-être là l’une de ses plus belles idées. Film de mort, 120 BATTEMENTS est évidemment un grand film de vie où la colère et la tendresse se télescopent sans cesse. Plongé dans le quotidien de cette bande, de son organisation très structurée que Campillo a l’intelligence de décrire avec minutie, on perçoit le film comme un curieux compte à rebours impossible. La mort guette, partout, le sida décime, le temps est compté. L’urgence devient le seul moyen de survivre. Les paroles pressent, les corps s’agitent mais le temps résiste et répète jusqu’à la nausée les mêmes discussions, les mêmes engueulades. Tandis que la vie croit qu’elle peut s’imposer, la mort fait tranquillement son chemin. Campillo donne à cette lutte à la Sisyphe une grande dignité, comme une sorte de bouée de sauvetage absurde à laquelle les personnages s’accrochent pour ne pas dériver. Intelligemment, il emprunte le pas de Nathan (charismatique Arnaud Valois, formidable de justesse dans un rôle en retrait), jeune arrivé dans l’association, pour se laisser emporter par le mouvement mais pour aussi, par instants, en souligner les erreurs, les impasses et l’épuisement possible. En face, le personnage de Sean (Nahuel Perez Biscayart, impressionant), plus exalté, plus impétueux, construit l’équilibre parfait d’un film qui se détourne de l’hagiographie politique au profit d’une évocation plus juste et plus sensible de la fin de l’innocence amoureuse. La colère qui habite tous les personnages trahit une angoisse profonde, une tristesse à s’être habitué au désastre de l’amour qui tue. Naturellement, alors, 120 BATTEMENTS PAR MINUTE se mue en histoire d’amour mortifère. Un passage compliqué de « la théorie à la pratique », que Campillo négocie avec une grande intelligence. D’abord en pointillé, la romance devient petit à petit une lutte elle-même, une façon de conjurer la maladie par la tendresse et l’étreinte (la beauté sensuelle des scènes de sexe). Si, pour émettre un bémol, Campillo insiste parfois un peu trop sur la décrépitude des corps (même si, politiquement, le geste est fort, on l’admet), il réussit toujours à se sauver du misérabilisme par l’intelligence de sa mise en scène. Plus encore que dans LES REVENANTS et EASTERN BOYS, son mélange de réalisme social nerveux et d’onirisme inquiétant et sensoriel entraîne le film vers des sommets d’émotions brutes de cinéma. Jusqu’à l’apothéose finale, la fin parfaite, qui mêle dans une transe électrique la lutte, le sexe et la mort. Tout est là : le politique, l’humain et l’art. Bluffant. Grand film.

De Robin Campillo. Avec Nahuel Perez Biscayart, Adèle Haenel, Arnaud Valois. France. 2h15. Sortie le 23 août

 

 

 

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