Cannes 2017 : UNE FEMME DOUCE / Critique

25-05-2017 - 07:30 - Par

Cannes 2017 : UNE FEMME DOUCE

De Sergei Loznitsa. Sélection officielle, compétition.

Synopsis officiel : Un jour, une femme reçoit le colis qu’elle a envoyé quelques temps plus tôt à son mari incarcéré. Inquiète et profondément désemparée elle décide de se rendre à la prison, dans une région reculée de Russie, afin d’obtenir des informations. Ainsi commence l’histoire d’un voyage semé d’humiliations et de violence, l’histoire d’une bataille absurde contre une forteresse impénétrable.

Il aura fallu attendre cinq ans pour que Sergei Loznitsa revienne à la réalisation d’un long-métrage de fiction. Dans l’intervalle, il a longuement préparé, en vain, un projet consacré au massacre de Babi Yar avec Rick McCallum – l’ancien bras droit de George Lucas et producteur de la prélogie STAR WARS – et dirigé trois documentaires – MAÏDAN, THE EVENT et AUSTERLITZ –, revenant ainsi à sa première carrière. Rien qui n’a cependant apaisé son regard enragé sur le monde, et particulièrement sur la Russie, ses souffrances, contradictions et injustices. Avec UNE FEMME DOUCE, il livre une sorte de pendant féminin à MY JOY, confrontant sa protagoniste à l’enfer kafkaïen et corrompu de la Russie post-soviétique. Vivant seule avec son chien dans une petite maison de campagne, elle reçoit un colis qu’elle avait au préalable expédié à son époux emprisonné. Elle décide de le rapporter au pénitencier et obtenir des explications. La seule réponse qu’elle obtient ? Sibylline et cinglante : « Contraire au règlement ! » Pourquoi ? Allez savoir. Tout comme la « joie » de MY JOY tenait de l’ironie, la nouvelle héroïne de Loznitsa n’a de doux que son abnégation imposée par un système oppressif. La longueur des plans renvoie au calme apparent de la protagoniste – qui n’a ni prénom ni patronyme. De leur durée découle un poids, de plus en plus écrasant : dans chaque scène s’accroît ce qu’elle encaisse et ravale, cette colère retenue dont on ne sait si elle pourra exploser. De discussions absurdes et disputes périphériques émergent aussi les frustrations de tout un peuple : ceux qui regrettent la grandeur de la Russie séculaire, ceux qui combattent au quotidien ses dérives oppressives. « Je ne comprends pas ce peuple ! » se plaint ainsi une dame responsable d’un centre d’aide juridique dont les murs sont perpétuellement salis de tags injurieux par une population refusant qu’on remette en cause la probité des autorités – et notamment de la police, pourtant corrompue et violente. Dans la Russie de Sergei Loznitsa, personne ne gagne jamais et la mise en scène raide et sèche, forte d’un sens accru du cadrage et du timing, relaie avec une force incroyable le manque total et cruel d’empathie du système et des gens qui l’animent. Si UNE FEMME DOUCE ne bouscule pas grand-chose de ce que l’on connaît du cinéma de Loznitsa – le film tendrait même parfois vers la formule –, le propos, l’esthétique et le talent de conteur du cinéaste suffisent pendant deux heures. Jusqu’à ce qu’une bascule s’effectue à vingt minutes de la fin. Comme excédé par ce qu’il raconte, comme dévoré par sa colère, Sergei Loznitsa se permet ce dont sa « femme douce » n’a pas le luxe : il explose et pousse son film dans la fantasmagorie grandiloquente, le cauchemar grotesque via une séquence de banquet où discours ironiques, sardoniques et nébuleux se succèdent. Loin de toute catharsis ou de toute résolution, cette conclusion mène UNE FEMME DOUCE à la redite et à l’explication de texte maladroite. L’horreur des toutes dernières minutes, électrochoc en forme d’acmé d’un propos désespéré et nihiliste, n’apparaît alors plus que comme prévisible et complaisante. Pour un cinéaste de la trempe de Loznitsa, un manque de maîtrise et de subtilité absolument incompréhensible.

De Sergei Loznitsa. Avec Vasilina Makovtseva, Lia Akhedzhakova, Valeriu Andriuta. France/Russie. 2h21. Sortie le 16 août

 

 

 

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