Cannes 2017 : MISE À MORT DU CERF SACRÉ / Critique

22-05-2017 - 21:02 - Par

Cannes 2017 : MISE À MORT DU CERF SACRÉ

De Yorgos Lanthimos. Sélection officielle, compétition.

Synopsis officiel : Steven, un brillant chirurgien, prend sous son aile un adolescent. Ce dernier s’immisce progressivement au sein de sa famille et devient de plus en plus menaçant, jusqu’à conduire Steven à un impensable sacrifice.

Profondément antipathique, le cinéma de Yorgos Lanthimos est pourtant toujours passionnant. Un paradoxe qui devrait plaire à celui qui ne cesse, de film en film, de créer des univers absurdes, contradictoires et déstabilisants. MISE À MORT DU CERF SACRÉ, son nouveau film, ne déroge pas à la règle. Chirurgicale et pourtant métaphorique, minimaliste et grandiose, cette simili tragédie grecque complètement fucked up laisse une bizarre impression. Vu que bizarre et Lanthimos sont des mots qui fonctionnent bien ensemble, on serait tenté de dire que le film est une réussite. Pourtant, quelque chose coince. Comme avec THE LOBSTER, cette transposition américaine de son cinéma s’appuie sur un détournement de genre. Après la romcom transformée en totalitarisme amoureux, ici le thriller façon calme plat. Un art de l’antithèse très sale gosse qui accouche dans les deux cas de propositions formelles et narratives excitantes. Comme dans un thriller classique, donc, MISE À MORT DU CERF SACRÉ se construit sur une lente montée de l’angoisse, une installation progressive de la flippe jusqu’à l’éclatement final. Sauf qu’évidemment, chez Lanthimos tout est décalé, un peu à côté. Obsédé par l’apathie, la paralysie, le cotonneux, ce film bleuté déroule sa violence comme dans de la ouate. Colin Farrell et Nicole Kidman, géniaux, campent ainsi un couple de médecins insondable, étrangement robotique, plus bizarre que ce jeune homme qui s’invite dans leur vie. Complètement perdu, le spectateur ne sait pas vraiment d’où vient la menace. Et quand elle éclate, elle est tout de suite relativisée, rendue absurde par le calme du film. La tension et le malaise viennent alors du fait que le film ne déborde jamais, une sorte de cocotte-minute glacée. C’est tout le génie de Lanthimos, tout son savoir-faire technique et formel qui s’exprime ici dans de longs travelling oppressants, une façon de tordre le plan, d’ouvrir l’espace à toutes les menaces possibles pour mieux l’écraser, l’étouffer ensuite. Buñuelien avec THE LOBSTER, Lanthimos se fait ici très kubrickien. C’est à la fois la grande force et, hélas, un peu la faiblesse du film. Car si MISE À MORT DU CERF SACRÉ est un grand film de mise en scène, une véritable machine à impressionner la rétine, sa petite tambouille narrative rame nettement plus. On a connu Lanthimos plus inspiré, plus retors, plus drôle qu’avec cette histoire de vengeance, ce « Choix de Sophie » un peu trop expédié. Là où, au contraire, THE LOBSTER réussissait brillamment à incarner son sujet, ici le dispositif de détournement du genre et de glaciation des affects tourne un tout petit peu à vide. Le bouquet final attendu, s’il est certes bien vénère, manque de surprise et d’ampleur. Tordu, bizarre, passionnant et un peu raté, MISE À MORT DU CERF SACRÉ déroule donc son programme horrifique avec talent mais sans réel génie. Dans ses meilleurs moments, c’est un pur film d’acteur taré, un vrai Kidman’s Movie où l’actrice s’en donne à cœur joie dans l’émotion corsetée et le débordement cinglé. Dans ses moments moins inspirés, c’est un petit Haneke next-gen gentiment provoc.

De Yorgos Lanthimos. Avec Colin Farrell, Nicole Kidman, Barry Keoghan. Etats-Unis. 1h49. Sortie le 1er novembre

 

 

 

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