Interview : C’est quoi un film d’Éric Judor ?

03-06-2017 - 19:12 - Par

Interview : C’est quoi un film d’Éric Judor ?

Quand on a été connu en duo, se faire un nom en solo est une véritable gageure. Comme l’une de ses idoles, Jerry Lewis, Éric Judor a fini par s’imposer seul comme un auteur. D’abord en série avec PLATANE puis au cinéma avec notamment PROBLEMOS en salles ce mois-ci. Une singularité comique, une vision burlesque et absurde du monde et de l’industrie qui fait d’Éric Judor, auteur- acteur-réalisateur, l’un des artisans du renouveau de la comédie française.

 

Cette interview a été publiée au préalable dans le magazine Cinemateaser n°64 daté mai 2017

 

Problemos-PicVous n’avez pas écrit PROBLEMOS et pourtant le film s’inscrit parfaitement dans votre cinéma…

Ça veut donc dire que ‘j’ai un cinéma’ ! C’est pas mal comme début d’interview. Ça me plaît ! (Rires.) C’est toujours un peu compliqué quand on fait de la comédie d’accepter le terme ‘d’auteur’. Non pas qu’on n’en veuille pas ou que ce ne soit pas vrai… Je ne sais même pas d’ailleurs si c’est vrai… Mais le genre est tellement difficile, tellement vaste, si peu respecté que ça me surprend toujours qu’on utilise le mot auteur. C’est associé à un cinéma plus ‘sérieux’… Je ne sais pas si je me considère comme un auteur. Je défends simplement ma manière de faire de la comédie. L’échec incompréhensible pour moi de LA TOUR 2 CONTRÔLE INFERNALE, je
le vis comme une remise en cause de mon travail. Après, pour revenir à PROBLEMOS, je trouve que le scénario génial de Blanche Gardin et Noé Debré est beaucoup plus noir et méchant que ce que, moi, j’aurais pu écrire. Je suis un peu plus optimiste qu’eux, un peu moins misanthrope…

On y retrouve pourtant le même ton satirique et très méchant de PLATANE…

Dans PLATANE, c’est moi le bâtard. Et Guillaume Canet. Mais Guillaume Canet, c’est vraiment un bâtard, donc ça passe ! (Rires.) J’ai lu PROBLEMOS dans un avion. Je riais tout seul hyper fort, ça gênait tout le monde. Mais je n’ai pas l’impression d’avoir le même humour que Blanche, par exemple. Pourtant je n’ai quasiment pas touché au scénario. Je crois que j’ai juste apporté une forme de douceur qu’il n’y avait pas au départ, un truc un peu moins vénère. Je voulais une autre fin, plus soft, mais Noé et Blanche m’ont convaincu qu’il fallait aller au bout des choses. Je me suis laissé porter. En tant qu’acteur, il a fallu que je trouve le bon rythme pour être à la hauteur du texte. C’est un exercice compliqué et hyper intéressant de se couler dans le flow comique de quelqu’un d’autre. Je crois quand même qu’un acteur de comédie imprime sa marque sur le film quel que soit l’auteur. C’est lui le plus important. Un bon texte dit par un mauvais acteur ça marche pas, alors qu’un mauvais texte par un bon comédien, ça fonctionne quand même…

Est-ce que, pour vous, faire un portrait de la bêtise comme vous le faites dans LA TOUR DE 2 CONTRÔLE INFERNALE ou ici dans PROBLEMOS, c’est une vision politique du monde ?

Wow ! La question ! Heu…Peut-être ! (Rires.) Plus sérieusement, je ne sais pas si mes personnages sont bêtes. Ils sont ‘exotiques’, on va dire, ‘différents’ quoi ! L’important, c’est l’empathie. Faire en sorte qu’on finisse par comprendre la manière dont ces personnages bizarres, un peu cons, un peu flippants, voient le monde. C’est ça, la comédie : finir par trouver logique quelque chose qui ne l’est pas. Dans PROBLEMOS, au départ, on découvre des mecs avec des bonnets péruviens et des chaussettes dans des claquettes. On se marre parce qu’on est du point de vue de mon personnage, parisien, hyper normatif. Et puis, ce qui m’intéresse, c’est que petit à petit, on finit par s’habituer aux choses, à se mettre à penser comme eux. Une bonne comédie, elle vous tord le cerveau ! Les films des frères Farrelly par exemple : DUMB & DUMBER, ça vous retourne complètement la tête. Mais l’empathie qu’on ressent pour ces deux mecs fait que tout passe.

Judor-Exergue1Avec ‘Eric et Ramzy’, votre humour était très corporel et burlesque. Quelle est la place du texte aujourd’hui dans votre travail ?
PLATANE a débloqué quelque chose. H aussi, peut-être. C’est très différent de faire de la comédie de situation et de la comédie type ‘n’importe quoi’. PLATANE, c’est très bavard par exemple. On revient beaucoup sur le texte, les mots, le rythme des mots. Dans le burlesque, il y a une grosse part d’improvisation et d’instantané. Mais la comédie de situation permet d’inclure plus de personnages, de jouer sur les oppositions et les ruptures. Le burlesque demande plus d’efficacité, la comédie de situation plus de dynamisme. Je crois que le public n’a pas compris LA TOUR 2 CONTRÔLE INFERNALE parce que c’était ni l’un, ni l’autre. J’ai voulu expérimenter un truc plus absurde qui bizarrement n’a pas pris.

C’est vraiment un échec violent pour vous ?

Incompréhensible, surtout ! Pour moi,
c’est un chef-d’œuvre ! (Rires.) Oui,
j’adore ce que je fais, hein… attention, Président de mon propre fan club ! Non, mais je suis sérieux en plus. Je suis hyper fier de ce film. On y a mis beaucoup d’audace, de choses nouvelles… Le film est resté incompris et je ne me l’explique pas. On doit être une des seules comédies qui a eu plus d’étoiles par la presse que par le public.

Ce n’est pas ça le problème justement ? Vous n’avez pas peur d’être devenu un ‘comique intello’ ?
Comique pour cinéphile, peut-être. Pour des gens qui aiment la comédie et qui ont l’habitude d’en voir. On travaille 10h par jour sur ce genre-là. On taille notre diamant jour après jour, on se contente pas de faire des vannes. On essaie de construire des gags, des situations, des idées comiques. Ce n’est jamais le premier jet qui est le bon. Je ne sais pas si le public s’en rend compte et tant mieux en même temps. Faire de la comédie, c’est très ingrat parce que le travail ne doit pas se voir. Si tu sens que le mec a galéré pour te faire rire, ça ne marche plus. La comédie, tu te marres
ou tu ne te marres pas. La sentence est immédiate et c’est parfois hyper violent. J’ai mis dans LA TOUR 2 CONTRÔLE… plus d’idées neuves de comédie que dans tout ce que j’ai pu faire auparavant. Il y a plein de plans et de situations que je trouve hyper drôles dans le film…Mais finalement, je me suis planté. Ça ne faisait rire que moi et une vingtaine de journalistes…

Qu’est-ce qui a changé selon vous entre la TOUR MONTPARNASSE INFERNALE et LA TOUR 2 CONTRÔLE INFERNALE ? Le public ? Vous ? La comédie ?
On a fait LA TOUR MONTPARNASSE avec une forme de naïveté. Sans pression, ni angoisse. Personne ne nous prenait au sérieux. Avec LA TOUR 2 CONTRÔLE…, on revenait et on avait envie de prouver aux gens qu’on était toujours là. On a peut-être un peu trop péché par orgueil. On a voulu trop en faire peut-être… Au moment de l’écriture, vraiment, on a mis tout ce qui nous faisait marrer. Et encore aujourd’hui, quand je le vois, je me marre. C’est horrible, ça fait hyper prétentieux… Mais c’est incompréhensible pour moi… Les gens doivent se dire : ‘le pauvre, il ne sait pas qu’il est nul…’

Tour-2-ControleRécemment, la polémique autour du film GANGSTERDAM et son humour problématique a révélé un fossé entre le public et les créateurs. Romain Levy, le réalisateur, ne comprend pas que le public ne trouve pas son film drôle…
Merde, j’ai répondu comme lui. Je
ne veux pas me prononcer sur GANGSTERDAM, je n’ai pas vu le film. Je sais juste que la défense de Romain n’est pas la bonne. Un peu comme la mienne. Il faut admettre quand on a merdé. En comédie, ce n’est pas évident, parce que l’humour, c’est une partie de soi. Donc c’est très violent quand le film est rejeté. Après, il ne faut pas oublier que la comédie est quand même très soumise à l’époque. C’est cruel mais il y a des films très réussis, très drôles qui ne sortent pas au bon moment. Le contexte fait que l’humour ne passe pas. Attention, il y a aussi des films de merde, hein. Mais souvent ce sont des films qui copient un ancien succès. Y’a pas d’inventions, pas d’idées, juste deux ou trois vannes qu’on met dans la bande annonce et c’est réglé. Il n’y a pas ‘un problème comédie française’, ce n’est pas vrai. Il y a des bons films, des mauvais films, des producteurs qui aiment la comédie et puis d’autres qui en font par nécessité. Mais comme partout. Il suffit d’un ‘Nakache et Toledano’ (INTOUCHABLES, SAMBA, ndlr) pour que tout le monde se souvienne pourquoi la comédie française existe. Leur prochain film, LE SENS DE LA FÊTE avec Jean-Pierre Bacri, va être énorme…

C’est plus l’industrie qui est en cause que le goût du public ?

Le vrai problème, c’est qu’on pense que la comédie doit être mainstream. Faire rire, ce serait faire rire tout le monde. C’est absurde. C’est quelque chose que j’ai du mal à comprendre. Donc les chaînes de télé, actionnaires majeurs du cinéma français, cherchent le plus petit dénominateur comique commun. En fait, ils se plantent mais ça, il ne faut pas leur dire. Ça donne des films comme QU’EST-CE QU’ON A FAIT AU BON DIEU ?. C’est très franco-français comme humour. Ça se veut sociologique alors que c’est bourré de clichés, ça joue des conflits qui n’existent pas, en fait. Ça marche mais ça ne fait du bien ni aux gens ni à la comédie. Ce qui est terrible c’est que ces films confondent la comédie et l’angélisme. Tout le monde doit être sympa, doit finir par s’entendre et s’aimer. Le pire, c’est qu’en plus, aujourd’hui, elles ont l’impression d’être ‘politiquement incorrectes’. C’est déprimant. Heureusement, le cinéma français est aussi capable de produire des petites comédies, plus politiques, plus sensibles, plus osées, dont on parle peut-être moins, mais qui sont beaucoup plus intéressantes.

Vous vous sentez libre aujourd’hui de faire la comédie comme vous le souhaitez ?

C’est une liberté qui se paie très cher. Matthieu Tarot, le producteur de PROBLEMOS, est parti chercher des financements pour le film le jour de la sortie de LA TOUR 2 CONTRÔLE… Les gens l’ont regardé et lui ont dit : ‘Vous avez vu là, Judor votre pote, les scores qu’il fait…’ Il a bien galéré… On vous pardonne difficilement d’avoir raté une comédie.

Vous avez l’impression avec Ramzy d’être toujours en phase avec l’humour de l’époque ?

On est arrivés à une période où il y avait de la place pour les jeunes humoristes. Aujourd’hui, c’est l’embouteillage. Je crois que les gens ont grandi avec nous, que le public nous a suivis parce qu’on s’adressait à un public jeune auquel personne ne parlait…

Judor-Exergue2

Vous incarnez effectivement quelque chose de très générationnel. J’étais adolescent au moment de votre premier spectacle et ça a forgé l’humour de ma génération…
Oh putain ! Le coup de vieux violent là… Je suis là, je fais une interview et y’a un grand type barbu qui vient me dire qu’il m’a vu sur scène quand il avait 12 ans ! Le coup dur, là ! (Rires nerveux. Pause) Bon, je me donne un an et après j’arrête, je monte une crêperie ! En même temps, c’est vrai que ça fait plus de 20 ans qu’on est là… Vraiment, je ne me rends pas compte. J’ai l’impression que ‘les Mots’, H, même LA TOUR MONTPARNASSE, c’était il y a pas si longtemps… Je vais ressortir complètement déprimé de cette interview, moi !

C’est plutôt le signe d’une longévité incroyable !

Ouais, enfin maintenant on fait 300 000 entrées, hein ! Je crois que le public a accepté petit à petit l’idée que Ramzy et moi étions différents. Ramzy est beaucoup plus un comédien que moi. Je l’appelle Ramzy Lindon, maintenant. Moi, je suis un comique, je ne sais faire que de la comédie. Donc, on a nos univers différents. Mais quand on se retrouve, il y a quelque chose qui se passe d’inexplicable qui tient pour moi de la ‘pure gogolerie’. On est incapables de se dire des choses sincères ou personnelles. On est dans la vanne et le jeu permanent. Et c’est comme ça qu’on travaille. Il y a une dynamique entre nous qui tient de la pure alchimie comique. Il dit un truc, je vais répondre une connerie et c’est parti. Sur un tournage, on cadre l’endroit où on va foutre la merde et on se lâche. Je me souviens sur le tournage de DOUBLE ZÉRO, on était insupportables. On ne respectait rien. Les mecs gâchaient de la pellicule à cause de nous. Un jour, sur le tournage d’HALLAL POLICE D’ÉTAT, Luc Besson est venu nous mettre un gros coup de pression. On a compris que c’était devenu un travail. Ça nous a fait du bien, je crois, à lui et à moi.

Quelles sont vos ambitions aujourd’hui ?

Oser simplement faire ce que je veux. Là, je bosse sur une envie de Late show pour la télé. C’est un exercice très différent et ça m’intéresse. J’ai signé pour une
saison 3 de PLATANE donc ça va me prendre beaucoup de temps. Mais le projet qui m’excite le plus c’est une autre série : DANSE AVEC LES KEUFS. Une comédie musicale policière dans laquelle je jouerai avec Youssef Hajdi et des chansons signées Stromae. Encore un truc bien barré et improbable !

 

PROBLEMOS
En salles
Critique dans Cinemateaser n°64

 

 

 

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