A BEAUTIFUL DAY : chronique

08-11-2017 - 10:02 - Par

A BEAUTIFUL DAY : chronique

Lynne Ramsay, en symbiose avec Joaquin Phoenix, dissèque le héros américain. Un très grand film, à la fois romantique et désespéré.

Après WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN, exploration fucked up de la maternité, Lynne Ramsay se propose de sonder la virilité d’un personnage et, plus largement, de tout un pan de cinéma. À l’instar de DRIVE, A BEAUTIFUL DAY est un regard d’européen, à l’univers âpre, sur la figure du héros américain. Joaquin Phoenix incarne Joe, ancien Marine, désormais spécialisé dans les opérations de sauvetage de jeunes filles ou femmes prisonnières de réseaux de prostitution. Lorsqu’il doit récupérer Nina, 13 ans, son existence dérape. A BEAUTIFUL DAY est autant une adaptation très fidèle du roman court de Jonathan Ames (« Tu n’as jamais été vraiment là ») qu’une variation libre. Peu intéressée par son intrigue, Ramsay préfère l’étude de caractère – grâce à laquelle Joaquin Phoenix façonne une prestation monstre, une transe physique et intérieure, masculine et sensible. Ramsay, elle, filme un vagabondage psychologique où le montage, extrêmement précis, élève chaque flashback au rang de coup de poignard, de douleur rémanente subliminale, et où de subtils détails éclairent, en avance, ce qui va suivre. Là, elle déploie de superbes idées de mise en scène pour que Joe, dont elle observe avec détail le corps abîmé, disparaisse derrière ses mystères et ses peurs, qu’il devienne une ombre menaçante autant qu’un fantôme brisé – citons la manière dont, en passant de très gros plans à des plans plus larges, Ramsay tarde à révéler le visage barbu, tendu, fatigué mais sublime de Joe. Illustré par un score élégiaque et furieusement intelligent de Jonny Greeenwood, qui grippe ses instruments et suit quelques effets de montage, le film réussit l’exploit d’être à la fois romantique et nihiliste. Ramsay capture avec distance – voire hors-champ – la violence qu’inflige Joe, et regarde frontalement, jusqu’à la grandiloquence opératique, celle à laquelle il doit faire face. Opposant ce personnage qu’elle aime aux conséquences tragiques de ses actes, elle mène A BEAUTIFUL DAY vers le concept, troublant mais passionnant, de résilience inquiète. Comme Joe, le film se mure dans un mutisme apparent mais hurle de toutes ses forces sous la surface. Sec et ramassé, A BEAUTIFUL DAY s’impose bien comme un portrait du héros américain, mais un portrait dégraissé jusqu’à l’os – et pourtant complexe. À l’image de sa narration qui, toute en ligne claire, se perd néanmoins en errances. Personnage/acteur, mise en scène, narration, propos : tout dans A BEAUTIFUL DAY semble ainsi se dédoubler. Rien qui ne témoigne pour autant de la moindre contradiction. Juste de la richesse du film et de la maîtrise avec laquelle Ramsay le conduit.

De Lynne Ramsay. Avec Joaquin Phoenix, Ekaterina Samsonov. Royaume-Uni/France. 1h25. Sortie le 8 novembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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