LE MUSÉE DES MERVEILLES : chronique

15-11-2017 - 08:55 - Par

LE MUSÉE DES MERVEILLES : chronique

1927 : Rose recherche une actrice qu’elle admire. 1977 : Ben tente de découvrir la vérité sur son père, qu’il n’a jamais connu. Todd Haynes suit la quête d’identité de deux enfants dans une grande fresque sentimentale. Brillant, bouleversant… les superlatifs manquent.

« Tu dois être patient avec cette histoire », dit un personnage du MUSÉE DES MERVEILLES à Ben. Être patient : une profession de foi qui pourrait être celle de Todd Haynes lui-même, envers son public. Car LE MUSÉE DES MERVEILLES, dans sa proposition de cinéma (il est à moitié muet et en noir & blanc), n’a pas d’autre choix que de faire confiance au spectateur. Et réciproquement. À bien des égards, Haynes signe ici son anti-CAROL : là où son précédent film semblait parfois sous verre, en sécurité derrière une vitrine glacée d’esthétique surannée, bien protégé du moindre sursaut organique d’émotion, LE MUSÉE DES MERVEILLES se présente instantanément comme une œuvre du lâcher prise – pour Haynes, comme pour le spectateur. Débutant sur une imagerie de conte de fées (un enfant, une forêt la nuit, des loups), le film préfère ensuite une mise en scène beaucoup plus fuyante et fragmentaire. En un savant exercice de montage bousculant les époques et parfois les temporalités en leur sein, Haynes construit une expérience pourtant foncièrement charnelle, incarnée, d’une fluidité absolue. Alors que se multiplient les gros plans sur des objets, des visages, LE MUSÉE DES MERVEILLES s’impose scène après scène comme un travail de perception – l’œil du cinéaste sur son sujet et ses personnages – et un travail sur la perception – celle des gamins héros et celle du spectateur qui les suit. Haynes conte et filme à hauteur d’enfants : chaque séquence déborde d’un appétit insatiable de storytelling et d’aventures, en un tourbillon de générosité et d’innocence. Là, le brio du casting est évident – Oakes Fegley (déjà sublime dans PETER & ELLIOTT LE DRAGON), Millicent Simmonds et Jaden Michael sont magnifiques de vérité. LE MUSÉE DES MERVEILLES se dévoile dans les sentiments exacerbés de ses personnages d’enfants, sans filtre, parfois jusqu’à l’excès. Mais c’est justement là que réside son intrinsèque puissance : en travaillant avant tout sur la perception sonore et visuelle qu’ont Ben et Rose – tous deux malentendants – des événements qu’ils traversent, Haynes force le spectateur à ressentir avant de réfléchir, puis à creuser en lui des souvenirs éclairants et des émotions identiques – solitude, isolement, peine, émerveillement, colère, peur etc. Pour qui se laisse guider sur cette voie sensorielle, sentimentale, presque psychanalytique, il s’en dégage une succession quasi ininterrompue de décharges émotionnelles. LE MUSÉE DES MERVEILLES vibre, vit, touche à des non- dits primaux, aborde avec simplicité des choses essentielles, déclenche des larmes quasi inexplicables, souvent par la simple force de ses images – sublimées par une partition de Carter Burwell prodigieuse d’élégance. Audacieux dans ses choix esthétiques, Haynes refuse toutefois l’exercice de style démonstratif. Jamais dans le mimétisme, il délivre pourtant une ode au cinéma, au rêve, au storytelling comme portes sur le monde et moyens de survivre à l’enfance. Il dissémine ici ou là une foule d’idées dont celle, et pas la moindre, que la vérité se dit souvent dans ce qu’on n’entend pas. De quoi donner l’envie irrépressible de se plonger encore et encore dans ce film-monde, aussi brillant et ambitieux qu’il est humble, pour en saisir la richesse visible et invisible.

De Todd Haynes. Avec Oakes Fegley, Millicent Simmonds, Julianne Moore, Jaden Michael, Michelle Williams, Tom Noonan. États-Unis. 1h57. Sortie le 15 novembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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