DARK : et si le nouveau phénomène pop était allemand ?

26-11-2017 - 18:52 - Par

DARK : et si le nouveau phénomène pop était allemand ?

Une forêt étrange, des ados qui disparaissent, des secrets de famille et un soupçon de fantastique, DARK, c’est la nouvelle Netflixerie qui va vous rendre accro. Plus proche finalement de THE OA que de STRANGER THINGS, la série allemande vrille les neurones avec une ambition formelle et narrative bluffante. Rencontre avec ses créateurs Jantje Friese et Baran bo Odar, un duo pop machiavélique.

 

Cet entretien a été publié au préalable dans le magazine Cinemateaser n°69 daté novembre 2017

 

Dark-Pic2Difficile de résumer 
DARK sans en dire
 trop. Comme on ne voudrait pas spoiler 
nos lecteurs, qu’est-ce que vous leur diriez
 pour présenter la série ?
Jantje Friese : Ça nous aurait bien 
aidés que vous le fassiez ! (Rires.) Effectivement, c’est compliqué de donner envie de la voir sans en dévoiler des aspects importants. Je crois que c’est une série qui fonctionne sur la curiosité. On a voulu créer un mystère, immédiat, qui donne envie de s’attarder sur ces personnages, de passer du temps avec eux pour comprendre exactement ce que vous êtes en train de regarder. Pour ce faire, on a mélangé un peu de polar, un peu de fantastique. Mais je crois, surtout, que DARK est une saga familiale. Petit à petit, l’étau se resserre et la tragédie arrive. Quatre familles liées malgré elles par quelque chose qui les dépasse. Tout commence quand un enfant disparaît…
Baran bo Odar : C’est le point de départ, oui. Mais juste avant, un homme se suicide. Pourquoi ? À vous de le découvrir…

La série joue beaucoup sur le mystère. Elle est comme un puzzle. On croit que chaque épisode va répondre aux questions mais le mystère s’épaissit chaque fois un peu plus… C’est une construction risquée, non ?

J.F. : La série télé, c’est du jeu. Il faut s’amuser avec le récit, avec le spectateur, sinon à quoi bon faire ça ? On est un peu des ‘sales gosses’ avec Baran. On aime cacher des éléments dans le plan, tracer des fausses pistes, créer des surprises. En tant que spectateurs, on adore ça. La difficulté bien sûr, c’est de savoir doser. Peut-être que l’on se perd un peu dans DARK mais c’est volontaire. Il y aura toujours quelque chose pour vous rattraper et vous donner l’impression d’avoir des certitudes. Mais au-delà du mystère, je crois que ce qui donne envie de suivre une série, ce sont les personnages. On a beaucoup travaillé la structure mais aussi la densité et la complexité des émotions et des relations. Il faut que ces quatre familles existent si vous voulez vous accrocher à l’histoire. Sinon, ça devient simplement de la théorie et un jeu de petit malin. Quand on écrit un scénario, on part d’une idée. Mais pour que cette idée soit forte, il faut qu’elle soit incarnée.
B.B.O. : En termes de mise en scène, l’important pour moi était de trouver le bon rythme. À la fois permettre au public de bien intégrer tous les éléments de l’intrigue, tous les personnages, et ne pas les ennuyer. Quand on travaille sur un scénario aussi dense et complexe, il faut vraiment trouver le bon tempo au montage. On aimait aussi l’idée que la série puisse être revue une fois terminée. Il y a plein de petits indices, de séquences qui paraissaient anodines la première fois, qui soudain vont prendre un autre sens. On s’est beaucoup inspiré de LOST et de la façon dont la série creusait son mystère. Plus vous avancez dans LOST et plus c’est dense. Vous avez le sentiment que chaque réponse est
 une nouvelle question. J’aime bien l’idée que la première question que doit se poser le spectateur devant DARK c’est : ‘Mais qu’est-ce que je suis en train de regarder ?!’

Vous citez LOST mais DARK a un rythme beaucoup plus lent, plus contemplatif…

B.B.O. : C’est un peu notre marque de fabrique. Dans nos films, on aime bien jouer sur la vitesse. Accélérer, ralentir. Le côté contemplatif, c’est moi. C’est ma manie de metteur en scène. J’aime composer le cadre comme un tableau. C’est à la fois rassurant et flippant. Tout est là, posé, calme. La tempête peut arriver de n’importe où. Les plans longs, ça permet aussi de mettre en avant l’acteur. On adore tous les Paul Thomas Anderson. Son cinéma respire, donne de la place au spectateur. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, plus un film prend son temps, plus il installe un climat oppressant. On n’a plus l’habitude de regarder les choses autour de nous. Faire un film ou une série avec des plans longs, forcément ça produit quelque chose de bizarre voire d’inquiétant. THE MASTER de P.T.A., c’est un chef-d’œuvre pour ça !

 

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Même si, Jantje, vous êtes la scénariste principale et Baran,
 le réalisateur, on sent que vous travaillez fondamentalement
 en duo….

J.F. : C’est parce que nous sommes un couple aussi ! On partage tout… On est une famille… On s’est rencontrés parce qu’on avait le même goût pour les histoires sombres et inquiétantes. C’est comme ça qu’il m’a séduite ! On parlait de la nature sombre de l’homme et j’ai succombé ! Baran a un imaginaire très graphique, très visuel. Moi, je suis quelqu’un de beaucoup plus littéraire. J’ai besoin des mots. C’est comme ça que fonctionne notre duo. Il parle en images, moi je parle en concept. On se rejoint dans la recherche d’une atmosphère. C’est ça qui nous motive. Je pose des idées sur un papier, je lui fais lire et je croise les doigts pour que ça l’inspire. Alors, il se met à me parler de plans, à citer des références d’autres films et notre travail commence vraiment.
B.B.O. : Chaque histoire a besoin de son propre style. Ça peut paraître étrange parce qu’on travaille ensemble depuis longtemps, mais j’ai l’impression qu’on repart de zéro à chaque fois. Nos précédents films, IL ÉTAIT UNE FOIS UN MEURTRE et WHO AM I, ont des styles très différents de DARK. Pourtant, on retrouve quelque chose de nous. Une envie de jouer avec les règles, de s’amuser avec le polar tout en mettant
 en avant les émotions des personnages. Chaque histoire a son propre rythme,
son propre univers mais elles participent toutes d’une même envie de bousculer les genres. C’est ça qui nous plaît. WHO AM I est un pur film pop sur le monde des hackeurs, il fallait insister sur la vitesse. DARK prend son temps parce que les mots et les signes ont une importance. Je sors d’une expérience américaine
 où j’étais simplement réalisateur (SPLEEPLESS, avec Jamie Foxx, ndlr). Avec DARK, j’ai retrouvé le plaisir de travailler à deux et de pouvoir créer une œuvre très personnelle.

Dark-Pic1Comment Netflix vous a-t-il repérés ?
B.B.O. : Ils ont misé sur nous, comme aux courses. (Rires.) On a été approchés après une projection de WHO AM I. Netflix voulait en faire une série. On a commencé à réfléchir à ce projet mais on sentait que ce n’était peut-être pas une si bonne idée que ça. Alors, Jantje m’a proposé le sujet de DARK, on a commencé à travailler et on a proposé à Netflix ce projet très personnel. On pensait que ça ne passerait pas. Et finalement, ils nous ont fait totalement confiance. On a été totalement libres. C’était même un peu inquiétant au début. Je crois que la philosophie de Netflix, c’est d’oser la curiosité. Si tu fais confiance à quelqu’un, il ira au bout de son projet. Il faut être curieux, c’est tout. Netflix nous a dit : ‘Faites nous la cuisine, c’est vous les chefs. Nous, on vous dira si ça manque de sel après’.
J.F. : Netflix a accepté l’idée que la série était comme un puzzle et qu’il y avait plusieurs niveaux de lecture. Même si le public est de plus en plus habitué à ça, ce n’était pas si évident. On savait qu’avec Netflix, tous les épisodes seraient disponibles d’un coup. C’était rassurant. Le public allait pouvoir avancer à son rythme. Ça permet, je crois, une compréhension plus intime de la série. J’ai un côté très cérébral. J’aime quand une œuvre me défie. DARK va mettre votre réflexion à rude épreuve. Vous allez vouloir comprendre qui, quoi et quand.
B.B.O. : J’ai l’impression qu’on ne peut plus raconter des histoires en oubliant le spectateur. Il faut le mettre au défi, l’intriguer, l’interroger. C’est comme ça qu’il vit sa vie au quotidien. On a longtemps pensé que la fiction empêchait de réfléchir. C’est absurde. Au contraire, je crois que c’est l’outil de réflexion le plus puissant qui existe. C’est comme regarder par la fenêtre. J’adore BLADE RUNNER par exemple. Jeune, c’est un film qui m’a beaucoup marqué. C’est de la science-fiction mais durant tout le film vous vous demandez qui est qui, qui fait quoi etc. On vous raconte une histoire mais ça ne veut pas dire que vous la gobez toute crue.

 

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On a plutôt l’habitude que les séries allemandes soient très marquées par l’Histoire et reviennent sur les fractures du pays, comme par exemple DEUTSCHLAND 83. DARK a beau jouer sur les temporalités, il n’est pas question du passé de l’Allemagne…
J.F. : Il serait temps de passer à autre chose, non ?! Je comprends qu’à l’international, ce soit les séries historiques allemandes qui soient le plus diffusées. L’Histoire, ça concerne tout le monde. Mais en Allemagne, nos séries, nos films racontent autre chose. J’ai l’impression que DARK est universel. Ça se passe en Allemagne mais ça pourrait se passer en France ou aux États-Unis. Quand vous lisez de la tragédie grecque, vous ne vous dites pas en permanence que ça se passe en Grèce. C’est la même chose, ici ! Oui, la série est en allemand parce que nous sommes allemands. C’est notre culture, notre univers. Mais je n’ai pas l’impression que les personnages soient particulièrement allemands. Peut-être la question du non-dit, du secret qui résonne avec un certain passif… Et encore…
B.B.O. : La question des ténèbres, c’est quand même très allemand. Ça résonne forcément avec l’Histoire. Une partie de la série se passe dans les 80’s. Il y a quelque chose de flippant dans cette période en Allemagne. Une fracture évidente du fait du Mur mais aussi une envie de faire repartir le pays à zéro, une nouvelle énergie pop qui a du mal à s’installer. En France, vos 80’s, c’est LA BOUM. Nous, c’était plutôt Nina Hagen. Vous voyez la rupture ?

On va forcément comparer la série à STRANGER THINGS. Les années 80, la forêt, des ados, le surnaturel… Comment expliquer que ce n’est pas du tout la même chose ?

J.F. : Oh mais si les gens qui aiment STRANGER THINGS ont juste la curiosité de regarder DARK parce que, comme ça, ça leur semble la même chose, c’est l’idéal pour nous…! Qu’on soit clairs, la série était écrite bien avant le succès de la série des frères Duffer. Je ne veux pas entendre qu’on surfe sur un succès et qu’on a copié la recette. Les deux projets coexistent. Au départ, on peut croire que c’est la même chose. Mais STRANGER THINGS est bien plus un hommage au cinéma de genre que DARK. Nous, au contraire, on brouille les pistes, on essaie de vous surprendre.
B.B.O. : DARK a beau se passer dans les années 1980, ce n’est pas du tout une série nostalgique. Au contraire, je crois même que chez nous les 80’s sont un pur cauchemar, affreux, dont on voudrait s’échapper… Mais là, je vous en dis déjà trop !

DARK
Sur Netflix le 1er décembre

 

 

 

 

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