LES HEURES SOMBRES : chronique

02-01-2018 - 15:56 - Par

LES HEURES SOMBRES : chronique

Après les expérimentations de PAN, Joe Wright revient au drame historique, mais conserve sa bravoure habituelle.

Dans une minuscule salle isolée, Winston Churchill passe un coup de fil nocturne à Franklin D. Roosevelt et lui demande l’aide des États-Unis, alors que l’armée allemande fond sur les troupes anglaises aux abords de Dunkerque. Face au refus du président américain, un désespoir poétique envahit le visage du premier ministre anglais. « Il doit être tard, chez vous » conclut Roosevelt, embarrassé. « Bien davantage encore que vous ne l’imaginez », réplique Churchill. De tels moments, où les mots, leur sens, leur double-sens, les métaphores et sentiments qu’ils cachent – mélancoliques ou triomphants –, LES HEURES SOMBRES en regorge. Ici, l’importance des mots est capitale. À bien des égards, LES HEURES SOMBRES se rapproche ainsi du LINCOLN de Steven Spielberg : dans sa manière de faire le portrait d’un homme d’État à travers son discours ; à travers ces instants de pur storytelling où l’humanité se révèle derrière l’Histoire et en dépit du poids de la mort qui rôde ; dans sa façon, aussi, de sculpter la complexité d’une figure historique en la circonscrivant à un événement précis – ici Churchill, appelé pour diriger le gouvernement par des parlementaires soucieux de ne pas se confronter au dilemme qui se pose à l’Angleterre : négocier un armistice avec Hitler ou se battre jusqu’au bout. Tout comme DUNKERQUE de Chris Nolan, dont il est un compagnon évident et complémentaire, LES HEURES SOMBRES explore « l’esprit de Dunkerque », le triomphe humain derrière la débâcle militaire, quitte à réécrire les faits, en fantasmer de nouveaux, comme dans cette scène excessivement romanesque mais formidable où Churchill dialogue avec la population dans le métro et dont le réalisateur Joe Wright magnifie sans la cacher la nature irréelle. Là, dans le regard tout sauf documentaire de son metteur en scène, réside la complexité des HEURES SOMBRES. Sans atteindre les niveaux d’expérimentations de PAN ou ANNA KARENINE, Wright « opératise » tout et, loin d’un quelconque académisme, propose un tourbillon de sons, d’images. Emporté par l’interprétation insolente de Gary Oldman, LES HEURES SOMBRES est impétueux au point de se permettre des saillies screwball – incroyables scènes entre Churchill et son épouse. Joe Wright filme ce moment d’Histoire avec ferveur, mais conscient des parts d’ombre de son personnage (« Son CV est une litanie de catastrophes », dit le roi George VI) dont il fait une incongruité plus qu’une statue du commandeur. Et, en un plan miraculeux, fondu enchaîné d’une terre pilonnée au visage d’un mort, illustre avec gravité tout ce que le bien commun peut imposer de mensonges et de sacrifices.

De Joe Wright. Avec Gary Oldman, Ben Mendelsohn, Lily James. Grande-Bretagne. 2h05. Sortie le 3 janvier

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