MOI, TONYA : chronique

21-02-2018 - 08:04 - Par

MOI, TONYA : chronique

Portrait d’une prolo surdouée, à l’aune de tout ce qui l’a privée de son rêve américain. Social, fantasque et picaresque.

Impossible de résumer MOI, TONYA à un biopic sportif. Le film est aussi malpoli et coloré que son sujet, Tonya Harding. Aussi effarant et édifiant que son climax : l’agression organisée de Nancy Kerrigan. MOI, TONYA ne s’en cache jamais – ç’aurait été difficile, vu comme il insiste lourdement : il parle de l’Amérique, d’une époque, par le prisme de l’un de ses épouvantails, la première patineuse à avoir réalisé un triple axel (« So fuck’em », ponctue-t-elle), Tonya Harding. Elle était parmi les meilleures mondiales, mais elle collait la honte à son pays, avec ses tenues bon marché et son maquillage de camion volé, ses gros mots et ses hématomes, conséquences des coups assénés par Jeff, son mari, qui finira par organiser (malgré lui ?) sa chute. « Never apologize for being a redneck », dit-elle : « Ne t’excuse jamais d’être un cul terreux ». Victime de sa singularité, puis héraut de la différence dans un sport légèrement snob et même pas professionnel, elle renvoie à l’Amérique le reflet de son « indigne » classe prolétaire. Parfois, pour les figures les plus complexes, Gillespie a collé le visage de Margot Robbie sur le corps d’une performeuse dans un effet spécial approximatif ; et notre Tonya Harding de fiction d’avoir ce quelque chose de monstrueusement raccord avec l’image abominable que la fédération avait d’elle : une freak, qui ne concevait les rapports sociaux que par le conflit. La société américaine peut-elle supporter que le talent tombe sur n’importe qui ? « Vous n’avez pas l’image que nous voulons véhiculer », lui dit un juge. Alors dès que Nancy Kerrigan, « la princesse », a eu le genou en vrac, l’Amérique a lâché la presse aux trousses de la « pauvre merde » et a fait son beurre sur son dos, en vendant du papier. MOI, TONYA orchestre la confrontation de toute une ribambelle de points de vue : celui de sa mère affreuse (géniale Allison Janney), celui de son mari Jeff Gillooly (Sebastian Stan) – dont le nom reflète la bouffonnerie, moins le caractère agressif –, celui de Tonya et celui d’un reporter qui couvrait l’affaire à l’époque (Bobby Cannavale, sous-exploité). Face caméra, chaque témoignage raconte le médiocre, le morbide, les répercussions sur la société avec une insouciance inouïe. La vérité, fuyante, se trouve à mi-chemin de tout ça. À part un premier baiser sur le sublime « Romeo & Juliet » de Dire Straits, Gillespie offre à ce conte de fées raté un écrin normcore, aussi immoral que sophistiqué : comme la survivante qu’elle est, Tonya Harding en sort presque grandie. Un personnage en or pour une Margot Robbie qui gagne le statut de l’actrice la plus protéiforme de sa génération.

De Craig Gillespie. Avec Margot Robbie, Sebastian Stan, Allison Janney. États-Unis. 2h01. Sortie le 21 février

4Etoiles

 

 

 

 

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