HOSTILES : chronique

13-03-2018 - 19:37 - Par

HOSTILES : chronique

Après le film musical, les revenge et gangster movies, Scott Cooper se saisit du western pour radiographier les violentes forces contraires qui déchirent son pays. Un très grand film, aussi américain qu’universel, dont la retenue bouleverse.

LES BRASIERS DE LA COLÈRE, deuxième long-métrage de Scott Cooper, s’ouvrait sur une décharge électrisante de violence, une séquence choquante dans laquelle Woody Harrelson s’acharnait gratuitement sur un inconnu. « En débutant avec l’antagoniste et en montrant Woody aussi menaçant, j’assène dès le début qu’il s’agit d’un film différent, nous avait alors expliqué le réalisateur (voir Cinemateaser n°30). Ensuite, à chaque fois que vous voyez Woody à l’image, vous vous souvenez qu’il est imprévisible. » Ce souci du détail qui, en quelques minutes caractérise le récit, se retrouve dans son nouveau film, HOSTILES. « L’âme américaine est dure, solitaire, stoïque : c’est une tueuse. Elle n’a pas encore été délayée », assure une citation de D.H. Lawrence ouvrant le film. En anglais, pour « délayée », Lawrence écrit « melted », comme si l’âme américaine faisait peu cas du melting pot que les États-Unis érigent en valeur – « Son flambeau rougeoie la bienvenue au monde entier », clame un poème d’Emma Lazarus sur le socle de la Statue de la Liberté. Dès les premiers instants de HOSTILES, Scott Cooper interroge les beaux principes américains et instille le même genre d’électrochoc qu’au début des BRASIERS DE LA COLÈRE, sous la forme de deux scènes : la mort d’une famille de colons par la main de Comanches et les traitements inhumains infligés à des Cheyennes par l’armée américaine. Seule différence ? Le langage des soldats qui teinte leur violence d’un racisme évident. Parmi eux, le capitaine Blocker (Christian Bale) dont on sait qu’il « a pris plus de scalps que Sitting Bull » et à qui ses supérieurs confient une mission : escorter le chef cheyenne mourant Yellow Hawk (Wes Studi) et toute sa famille, du désert du Nouveau Mexique aux vertes plaines du Montana. Sur le chemin, ils croisent Rosalie (Rosamund Pike), dont la famille a été tuée. Débute un chemin de résilience où chacun, au côté de l’ennemi d’antan, va devoir questionner son passé, ses fautes, ses hostilités et ses douleurs pour survivre. HOSTILES pourrait facilement tomber dans la formule ou la démonstration surlignée. C’est sans compter la subtilité de son écriture. Le plus souvent taiseux, mais superbement évocateur quand il se fait plus verbeux (« Parfois, je jalouse la finalité de la mort. L’immuabilité. Et je dois chasser ces pensées quand je me réveille. »), le film use habilement des silences, préférant les regards de ses acteurs, abîmes d’émotions contradictoires. Sans gentils ni méchants, HOSTILES observe des personnages presque tous à la fois victimes et bourreaux, dévorés par une haine systémique et qui, dans ce cercle infernal de violence, cherchent désespérément à retrouver leur humanité et leur dignité. À travers eux se joue évidemment le destin tragique de la nation américaine (et, plus largement, de toutes les autres) qui, encore aujourd’hui, préfère le conflit à l’écoute, les reproches à la réconciliation, la défiance à la confiance. Les murs qui séparent aux ponts qui rapprochent. Là, la mise en scène de Scott Cooper, toujours plus précise de film en film, se révèle essentielle. Sa caméra se fait discrète et retenue, mais jamais passive, bien au contraire : chaque mouvement bâtit patiemment la tension et les cadrages, qu’ils isolent, réunissent ou tirent parti de décors naturels grandioses et écrasants, content la lente évolution émotionnelle des personnages. Mais peut-être reconnaît-on un grand film à sa capacité à lâcher prise, à laisser les spectateurs finir eux-mêmes le voyage, emporter avec eux l’âme de ses personnages et l’essence de son histoire. Sans surligner l’émotion qu’il suscite, HOSTILES se conclut ainsi par une splendide dernière scène et son tout dernier plan, à la rémanence bouleversante, semble suspendre le film dans l’éternité.

De Scott Cooper. Avec Christian Bale, Rosamund Pike, Wes Studi, Rory Cochrane, Jesse Plemons, Ben Foster, Bill Camp. États-Unis. 2h13. Sortie le 14 mars

5EtoilesRouges

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.