Cannes 2018 : 3 VISAGES / Critique

15-05-2018 - 13:27 - Par

Cannes 2018 : 3 VISAGES

De Jafar Panahi. Sélection officielle, Compétition.

 

Synopsis officiel : Une célèbre actrice iranienne reçoit la troublante vidéo d’une jeune fille implorant son aide pour échapper à sa famille conservatrice… Elle demande alors à son ami, le réalisateur Jafar Panahi, de l’aider à comprendre s’il s’agit d’une manipulation. Ensemble, ils prennent la route en direction du village de la jeune fille, dans les montagnes reculées du Nord-Ouest où les traditions ancestrales continuent de dicter la vie locale.

 

Difficile d’appréhender le cinéma de Jafar Panahi en faisant abstraction du contexte de sa création. Le réalisateur iranien est en quelque sorte devenu le sujet de son propre cinéma. Filmer le fait que l’on ne peut pas filmer, dire l’interdiction à la parole, montrer ce qui se dérobe à nous, voilà les enjeux d’un cinéma éminemment politique certes mais aussi très radical dans son esthétique. Si TROIS VISAGES s’inscrit dans cette lignée, celle de TAXI TEHERAN et de CECI N’EST PAS UN FILM, il en offre une version faussement apaisée, plus fictionnelle et mélancolique. C’est à la fois la force et la limite du film. Démarrant en trombe par l’appel à l’aide d’une jeune femme que sa famille empêche de devenir comédienne, le film semble jouer la carte de la fiction pour mieux raconter la réalité. Ce message est-il vrai ? À qui s’adresse-t-il vraiment ? Pourquoi l’actrice Mme Jafari est-elle prise à partie par la jeune adolescente suicidaire ? Claustrés dans la voiture, Jafari et Panahi jouent à être eux-même et à s’interroger sur les limites du vrai et du faux. Panahi excelle dans l’art troublant de la sincérité par le minimalisme de son dispositif : des longs plans de visages, des hors champs très sonores et lui, imperturbable observateur du monde. On prend donc la route avec eux pour éclaircir ce mystère avec la gourmandise de savoir qu’en chemin Panahi aura prêché le faux pour dire le vrai, jouer avec nos certitudes et témoigner par l’absurde de la fiction de son époque. Tendu et précis, le film déroule son programme et ses interrogations avec minutie. Faussement picaresque, le film voit les deux citadins s’inviter dans un village, venir remuer les querelles d’hier et surtout s’inquiéter de la véracité de la vidéo reçue. En filigrane, Panahi raconte la condition féminine en Iran, l’effondrement d’un pays sur lui-même, l’oppression en sous-main qui sclérose les villages.

Mais passé le cœur de la fiction, le moment de révélation qui raconte la colère d’une jeunesse, le jusqu’au-boutisme des artistes pour espérer prendre la parole et exister, le film s’éteint, s’arrête. Panahi à distance est comme évincé de la fiction. On reste avec lui, dans sa voiture, à attendre, regarder le monde aller et venir tandis qu’au loin résonnent les échos de l’histoire que l’on suivait. La fiction s’étiole et vire à la méditation. Bien sûr, on peut lire ce ralentissement brutal comme l’exil du réalisateur à son œuvre. Si l’on admet la métaphore et si l’on fait de nous-même ce travail de contextualisation, peut-être alors que cette méditation possède la mélancolie et le courage nécessaire pour emporter. En l’état, cinématographiquement parlant, on reste un peu à l’écart. À trop jouer l’art des contrastes, à trop finir par faire de lui-même le sujet de son cinéma, Panahi finit peut-être par nous laisser aussi de côté. Parfois, quand la caméra se tourne vers la fiction, comme ce sublime plan où des femmes discutent au loin dans une maison, on se dit que la puissance minimaliste de son cinéma est capable de merveilles. Mais ce cinéma empêché finit en l’état par être prisonnier de lui-même. Certes le film produit un effet étrange en nous rendant quasi nostalgique de la fiction du début (symbole du cinéma que Panahi ne peut plus faire) et bien sûr, si l’on observe le film à la lueur de son contexte, le geste est fort et signifiant. Mais on peut aussi rester sur le bord et s’étonner de la douceur d’un film aussi en colère. Comme si Panahi filmait une forme de résignation à son état, il fait de son récit une absence. Un effet théorique qui manque peut-être un peu trop d’émotion directe pour emporter complètement.

De Jafar Panahi. Avec Jafar Panahi. Iran. 1h40. Sortie le 6 juin

 

 

 

 

 

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