Cannes 2018 : SAUVAGE / Critique

10-05-2018 - 14:23 - Par

Cannes 2018 : SAUVAGE

De Camille Vidal-Naquet. Semaine de la Critique, Compétition.

 

Synopsis officiel : Léo, 22 ans, se vend dans la rue pour un peu d’argent. Les hommes défilent. Lui reste là, en quête d’amour. Il ignore de quoi demain sera fait. Il s’élance dans les rues. Son cœur bat fort.

Premier film entêtant, SAUVAGE n’est jamais là où l’attend. C’est une qualité rare de cinéma. Comment un film peut-il être ainsi aussi trash que tendre ? Aussi dur et brutal que merveilleusement vivant et romantique ? Oui, SAUVAGE secoue mais pas comme on le croyait. On s’imaginait un roller coaster hardcore façon film d’auteur engagé prêt à nous mettre le nez dans les bas-fonds de la prostitution masculine de rue avec un cocktail sexe/drogue/violence à la clé. C’est au contraire un film plein d’élan, de pudeur et de grâce.

Si Camille Vidal-Naquet n’élude et n’angélise absolument rien de la situation critique de ses personnages, c’est l’humain et le vivant qui l’intéressent derrière la mécanique des corps qui s’achètent. Filmant son héros gracile avec une caméra portée très présente (quasi ange-gardien du personnage), il refuse de sombrer dans le glauque du fait divers bourgeois pour privilégier un aspect très quotidien, quasi primesautier. Le ballet des voitures, l’attente au bord de la route, les passes comme autant de rencontres improbables, la violence qui ronge, l’ennui et puis l’amour, bel et bien bien là mais qui n’ose pas dire son nom… Tout ça est capturé avec un humanisme, une attention si particulière à l’émotion et aux corps qu’on est plus souvent ému, bouleversé voire complice de ces travailleurs du sexe que véritablement choqués. On s’étonne parfois de rire tant le prosaïsme et la spontanéité des dialogues amènent du naturel dans des situations qui nous paraîtraient à première vue scabreuses. C’est peut-être là l’une des grandes forces du film : donner à voir et à comprendre ce que la société ne veut pas voir. C’est troublant comme Vidal-Naquet réussit à insuffler de l’humanité dans des séquences dérangeantes, une tendresse là où ne l’attendait pas, de l’humour là où le tragique s’invite, du lyrique dans le choquant, de la grâce dans les décombres. Comme si les Dardenne avaient réécrit HUSTLER WHITE de Bruce LaBruce, SAUVAGE capture la réalité crue pour en faire du cinéma tendu, vivant, en un mot humain. C’est un vieil homme qui s’épanche sur sa solitude dans un lit lors d’une tendre séquence, un tabassage filmé comme un geste d’amour, de l’impudeur pudique face à une médecin ou encore une main qui s’agrippe à un corps comme à une bouée de sauvetage : Camille Vidal-Naquet trouve constamment une façon de déjouer les préjugés et d’offrir aux séquences une tonalité surprenante, une profondeur inattendue. Il s’offre même une pure séquence de mélodrame sur un palier de porte.

Mais pour oser ce grand écart stylistique, il fallait une direction d’acteur et une troupe à la hauteur. Au milieu d’une bande de comédiens inconnus tous parfaits (notamment Eric Bernard, boxeur amoureux étonnant), le jeune Félix Maritaud irradie le film d’une énergie furieuse et juvénile. Mais là encore, Camille Vidal-Naquet dirige l’acteur, très physique, avec une précision émotionnelle, un art de la nuance qui donne à ce vagabond amoureux une grâce et une profondeur surprenante. Une élégance à l’image d’un premier film qui a eu l’intelligence de préférer la force d’une mise en scène au choc de son sujet. « Toi tu es fait pour être aimé » dit-on au personnage. On confirme.

De Camille Vidal-Naquet. Avec Félix Maritaud, Eric Bernard, Nicolas Dibla. France. 1h37. Prochainement

 

 

 

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