MISSION : IMPOSSIBLE – FALLOUT : chronique

26-07-2018 - 15:02 - Par

MISSION : IMPOSSIBLE – FALLOUT : chronique

Premier réalisateur de la franchise à rempiler, Chris McQuarrie creuse toutes les thématiques engagées dans ROGUE NATION tout en renouvelant son esthétique pour un spectacle total volontairement moins élégant et plus heurté.

 

On l’a déjà écrit par le passé (voir notre ‘Mission : Impossible Anthology’, publiée en 2015) : de la mise en scène du monde comme twist suprême chez Brian de Palma à une cascade ahurissante comme vrai-faux jalon indépassable chez Chris McQuarrie, les premières minutes d’un MISSION : IMPOSSIBLE affirment généralement l’intention narrative, stylistique ou méta du film à venir. Une règle que respecte le sixième volet de la franchise, FALLOUT. Très courte, basculant immédiatement dans un étrange cauchemardesque, la scène introductive de FALLOUT dresse la liste des conséquences intimes qu’ont eu les actes d’Ethan Hunt sur son entourage le plus proche. Un solde de tout compte que lui tend le méchant de ROGUE NATION et de FALLOUT, Solomon Lane, avant de lui assurer : ‘Vous auriez dû me tuer, Ethan’. ‘Vous auriez dû’ : FALLOUT se conjugue au passé du conditionnel. La formule revient en effet maintes fois tout au long du film (‘Tu aurais dû rester hors jeu’, ‘Tu aurais dû partir avec moi’, ‘J’aurais dû être là’ etc.), soulignant perpétuellement l’impossibilité du lâcher-prise et le poids des regrets.

Tout comme il l’avait fait dans ROGUE NATION, Chris McQuarrie – premier réalisateur de la franchise à rempiler – continue d’étudier les atours tragiques de l’héroïsme romantique d’Ethan Hunt, homme sans autre nation que celle du Bien, ‘manifestation du destin’. Si, dans ROGUE NATION, il devenait une sorte de Dieu omniscient parfois violemment contredit ou défié par quelques éléments extérieurs, dans FALLOUT Hunt remet lui-même en question la foi qu’il peut susciter et questionne ses propres croyances. Rarement aura-t-il été aussi déconnecté de tout lien avec les institutions américaines : l’IMF semble toujours plus incarnée par Hunt et l’agence devient presque globale, un ange gardien protégeant le monde au-delà des frontières et des agendas politiques, conscient de la valeur de chaque vie face au sacro-saint bien commun. Hunt n’a jamais été un héros affilié, il a toujours préféré ses idéaux aux idéologies.

Comme l’indique son ouverture, FALLOUT entend regarder ce qu’il est advenu, ce qu’il aurait pu advenir, ce qu’il advient. Les choix (ou leur absence), les conséquences tragiques et les regrets qu’elles entraînent sont au centre d’un scénario emprisonnant Hunt et ses acolytes dans leur lutte contre le Mal – Ilsa, figure gémellaire de Hunt, assure qu’ils ne peuvent ‘jamais être libres’. Pour asséner ce propos sur l’inéluctabilité du sacerdoce de son héros, McQuarrie va se servir brillamment de son décor, Paris, et de son passé dramatique récent – très rare incursion de MISSION : IMPOSSIBLE dans le réel qui, jusqu’alors, avait uniquement joué avec la chute des blocs dans le tout premier volet. Avec un opératisme triste, dans une scène d’attaque de convoi dénuée de son et seulement porté par la musique, il renvoie à quelques images traumatisantes des attaques de janvier 2015 – un policier au sol, menacé par un homme armé. Même quand Hunt fait tout pour éviter la tragédie, il arrive au même point et se doit, au final, de se salir les mains pour faire bifurquer le destin.

À bien des égards, FALLOUT se révèle un épisode plus dur – jusque dans sa caméra heurtée et nerveuse, son image plus froide et plus granuleuse –, que ROGUE NATION. Il n’a pas l’élégance de son prédécesseur, comme si Chris McQuarrie oubliait son amour du vintage et du classicisme pour ne mettre en exergue que son amour du hard-boiled et de l’organique – peu de gadgets voire de technologie dans cet épisode, juste des mécaniques vrombissantes, écrasantes. Bastons brutales au découpage clair et virtuose, plans fous (une vague verticale qui envahit un camion), décors stimulant l’imagination (les souterrains du canal St Martin et leurs voûtes fantasmatiques), séquences d’action époustouflantes mues par l’engagement de Tom Cruise et une tension que rien ne vient désamorcer : McQuarrie bâtit un roller-coaster où le récit passe d’abord par l’action, comme une sorte de fuite en avant perpétuelle. Si bien que certaines scènes de dialogues transitoires se révèlent presque maladroites, à résumer / expliquer / annoncer. Certains passages se font même confus, leurs enjeux suspendus, tant le cinéaste joue – le plus souvent brillamment – avec les divers niveaux de son récit, accumulant trahisons (fausses ou avérées), doutes et intrigues.

Un empilement qui, s’il donne parfois l’impression de mener FALLOUT au bord du dérapage, sert le sens narratif global. Les séquences d’action et les rebondissements s’accumulent tout comme, au fil des ans, les missions se sont multipliées pour Hunt. Et, avec elles, les conséquences, les rancœurs, les regrets. Sous cet enchevêtrement, il devient de plus en plus difficile pour Hunt de se sortir d’une situation, de respirer, de trouver le moindre équilibre, la moindre pause. Là réside le cœur émotionnel du film : lorsque le récit de FALLOUT débute, la mission de Hunt lui est apportée sous la forme d’un magnétophone dissimulé dans une version reliée de ‘L’Odyssée’ d’Homère, histoire du long et tumultueux retour d’Ulysse à Ithaque. En quelque sorte, FALLOUT figure le retour de Hunt chez lui : pendant 2h28, en confrontant ses missions, ses choix et ses regrets – le cœur même de ce qui anime son héroïsme, ses valeurs, ses croyances –, Hunt tente d’être enfin en paix avec lui-même et son passé. Un ‘retour à la maison’ intérieur, un recentrage intime.

De manière plus poussée que ROGUE NATION, FALLOUT fait directement référence aux précédents volets. Le Paris nocturne est éclairé comme Prague chez De Palma. La première scène du premier volet est reprise quasi littéralement. Les talents de Hunt pour l’escalade à mains nues (MISSION : IMPOSSIBLE 2) sont remis à contribution. McQuarrie observe, comme Abrams, le prix que Hunt doit payer en étant agent de l’IMF. Le récit se sert du caractère familial, quasi exclusif, que revêt l’équipe de Hunt, tel qu’établi par Brad Bird dans PROTOCOLE FANTÔME. Ainsi, tout comme FALLOUT lui-même, Ethan Hunt est la somme de ses expériences passées, bonnes ou mauvaises. Ses choix, assumés ou forcés, peu importe leurs conséquences, forment son corpus d’expériences, terreau d’apprentissage moral et émotionnel. Ses fautes, ses remords et ses triomphes nourrissent autant sa psyché tragique que ses élans romantiques. En poussant jusqu’au bout la réflexion sur l’héroïsme de Hunt et en repoussant les limites de la franchise en la faisant plus brute, plus nerveuse, moins élégante et moins pop, Christopher McQuarrie rappelle qu’à une époque où tout semble parfois sur le point de s’effondrer, il est encore bon d’avoir ‘l’espoir comme stratégie’.

De Christopher McQuarrie. Avec Tom Cruise, Henry Cavill, Rebecca Ferguson, Simon Pegg, Ving Rhames, Sean Harris, Vanessa Kirby, Angela Bassett. États-Unis. 2h28. Sortie le 1er août

4etoiles5

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.