UN 22 JUILLET : chronique

05-09-2018 - 23:00 - Par

UN 22 JUILLET : chronique

Un film tripartite – Breivik, les victimes et l’État – où les récits s’entrechoquent. Paul Greengrass raconte un attentat et ses conséquences humaines et politiques. Remarquable.

 

Le 22 juillet 2011, Anders Breivik pose une bombe en plein Oslo et fait 8 morts. Il se rend ensuite sur l’île d’Utoya, dans un camp d’été de la ligue des jeunes du parti travailliste et assassine 69 personnes, pour la plupart des adolescents. Il se laisse arrêter sans résister afin de pouvoir expliquer son geste par des thèses ultranationalistes et depuis, il est comme le rappel permanent que l’idéologie d’extrême droite ou néonazie est une source de terrorisme qu’on a tendance à négliger. Et considéré la montée des partis nationalistes en Europe et les manifestations de plus en plus fréquentes de groupuscules flanqués d’une croix gammée, UN 22 JUILLET serait donc le cautionary taledont nous aurions besoin. Paul Greengrass se sert habilement de cette tragédie passée pour prévenir les tragédies éventuelles à venir et si, parce qu’il est tiré de faits réels très récents, on pourrait le comparer à VOL 93, réalisé très peu de temps après les attaques du 11-Septembre, l’ambition est différente : toujours aussi humaine, mais beaucoup plus politique. Après une reconstitution factuelle des attentats d’Oslo et d’Utoya – au point qu’on s’interroge vraiment sur l’intérêt du film et le rythme qu’il va adopter car l’arrestation de Breivik arrive à 30 minutes –, Paul Greengrass se consacre à l’après, au contrecoup. Ce qui lui permet de ne pas figer ce 22 juillet dans le passé mais de le rendre hautement universel. Avec une caméra moins sensationnaliste mais toujours ultra-immersive, il va remonter la piste du deuil, de la culpabilité du survivant, du réconfort et du soutien, du souvenir, du traumatisme. Plus fort encore, de l’enquête publique requise par le premier ministre, l’autocritique individuelle, collective, le droit de (se) défendre, le témoignage, le droit à la confrontation. Bref, la résilience qui n’a qu’un seul moyen d’exister : la démocratie. UN 22 JUILLET confronte un pays à son fantôme, et déroule, à force d’un récit sobre teinté d’admiration pour un fonctionnement presque exemplaire, comment la justice et les principes démocratiques ont rendu la Norvège inébranlable pendant l’affrontement. Le pays, qui a fait rentrer la droite populiste du Parti du Progrès au gouvernement depuis, y verra probablement l’occasion d’un examen de conscience.

Le cerveau et le cœur du film sont intimement reliés par l’écriture complexe mais parfaite de Greengrass (c’est clairement son meilleur scénario). Quelle gageure de mêler si intelligemment le propos politique fort avec une telle émotion, brute, extrêmement violente. Prenez le massacre d’Utoya, insoutenable tuerie sur fond de diatribe xénophobe, haineuse. Les nombreux attentats que l’on subit depuis quelques années ont clairement gommé la distance de la fiction – lorsque VOL 93, électrochoc, tentait d’exorciser le 11-septembre en illustrant une sorte de récit imaginaire, UN 22 JUILLET brasse avec tact mais force une imagerie devenue quotidienne. D’autant plus brutale qu’il s’agit d’adolescents. D’autant plus violente que la séquence de massacre est suffisamment ramassée pour être diablement immersive mais assez longue, explicative, documentée pour comprendre et vivre le calvaire de ces jeunes, otages d’un terroriste. On y suit deux frères, l’aîné, Viljar, nourrissant des velléités politiques et portant des valeurs de fraternité et de mixité sociales, et le cadet, Torje, plus effacé, plus fragile. Deux garçons dont la vie va basculer et qui, après avoir affronté ensemble la pire des tragédies, vont cristalliser ce que la société norvégienne entière va traverser, de sa scission à sa communion, en passant par sa sidération. Voir le visage diaphane, porcelaine brisée, de Viljar, joué par le jeune Jonas Strand Gravli, sidérant, se tordre sous les cicatrices, la peine, la colère et la haine, est peut-être ce qu’on aura vu de plus déchirant ; sa reconstruction, à mesure que le pays se reprend, est absolument bouleversante. Face à lui, Anders Danielsen Lie – en sous-régime dans le cinéma français (LA NUIT A DÉVORÉ LE MONDE) mais très puissant dans les films scandinaves – incarne avec courage et profondeur le monstre Breivik, dont chaque apparition glace le sang et excite nos plus bas instincts. Car le miracle UN 22 JUILLET c’est celui-là : capturer le pire et le meilleur de l’humain via la tragédie, comprendre comment la société doit compenser son animalité, statuer qu’ensemble, nous sommes plus forts, plus lucides, meilleurs que seul. Et espérer qu’il en soit toujours ainsi.

De Paul Greengrass. Avec Jonas Strand Gravli, Anders Danielsen Lie, Ola G. Furuseth. Norvège/Etats-Unis. 2h13. Le 10 octobre sur Netflix

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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